2 juin 2015

[DOSSIER] La politique de transports urbains en Inde, en voie de « Modi-fication » ?

Le
défi de la croissance urbaine

Dans les villes indiennes, la croissance démographique fulgurante de ces dernières années (2,45 % par an) a complètement bouleversé l’organisation des villes. Les grandes villes ont montré une très forte attractivité pour les populations rurales. Le pays compte déjà cinq métropoles de plus de 8 millions d’habitants, selon le dernier recensement (2011), et affiche une densité de population de 15 000 à 25 000 d’habitants au km². Étant donné que 70 % de la population vit encore en campagne, il est impératif d’anticiper la croissance urbaine et de lui donner une certaine soutenabilité, notamment en matière de mobilité urbaine.

Bien que la voiture reste un mode de transport réservé aux couches de la population les plus aisées (13 voitures/1000 habitants en Inde), les véhicules à moteur connaissent actuellement une croissance de 9 % par an (Sharma, Jain, Singh, 2011). L’hyper densité de population couplée au nombre croissant de véhicules à moteur en circulation a fortement affecté la qualité de l’air dans les villes indiennes, à l’origine d’importants problèmes respiratoires. L’inde abrite 13 des 20 villes les plus polluées du monde.

Dans ces grandes métropoles, les modes de transport motorisés individuels ne sont toutefois pas les plus utilisés. Les transports collectifs arrivent généralement en tête (entre 30 à 55 % des déplacements) suivis de la marche à pied (20-30 %). Toutefois, sur beaucoup de territoires, les conditions de circulation pour les habitants sont très mauvaises (bus bondés et bloqués dans la circulation et trottoirs souvent inexistants).

Il est donc impératif que les villes anticipent la croissance urbaine et offrent aux populations des solutions de mobilité adaptées répondant aux enjeux de la croissance économique tout en garantissant une certaine équité sociale et une qualité de vie acceptable.

Une dynamique nationale de développement des politiques de transport urbain

L’intérêt pour les transports urbains en Inde est relativement récent. En 2006, de nombreuses mesures ont été prises par le gouvernement central pour réguler le développement urbain et une politique nationale du transport urbain a vu le jour (National Urban Transport Policy: NUTP), ainsi que le programme de financement JnNURM (Jawaharlal Nehru National Urban Renewal Mission). Grâce à ce contexte national favorable porté par le Ministère du Développement Urbain (Ministry of Urban Development), les grandes villes indiennes ont pu développer de nombreux projets de métros et de Bus Rapid Transit (BRT).

Par ailleurs, plusieurs villes (Hyderabad, Bangalore, Chennai…) se sont dotées d’Autorités Organisatrices de Transport (UMTAUnified Metropolitan Transport Authority) afin de regrouper l’ensemble des institutions existantes sous un même organe, et de penser le réseau de transport de façon globale et intégrée. Conjointement, les villes établissent des plans de déplacements urbains – CMP (Comprehensive Mobility Plan) – définissant les objectifs de planification efficace et coordonnée de la mobilité.

Des villes de tailles intermédiaires commencent également à se doter d’infrastructures de transport de masse (Bhubaneshwar, Raipur, Rajkot, Hubli-Dharwad, Vijayawada) en prévision de la croissance future de la ville et des problèmes de congestion associés. La ville de Kochi (Kerala), où une ligne de métro est en construction, est notamment en train de finaliser la création d’une UMTA tout en révisant son CMP.

Les villes indiennes dans l’attente du lancement du programme « smart-cities »

Le Président indien Narendra Modi a lancé récemment un programme de développement de « smart-cities« . Il prévoit de mettre en place 100 « villes intelligentes », selon deux modèles: création de villes satellites situées en périphérie des grandes villes, ou modernisation de villes de taille moyenne existantes. Cette initiative part du constat qu’aujourd’hui, la population urbaine (30 % de la population totale) contribue à plus de 60 % du PIB indien. Selon les prévisions, dans les quinze prochaines années, les villes contribueront à 75 % du PIB. L’Inde étant en pleine transition urbaine, c’est le moment de planifier le développement des villes en conséquence, et les transports urbains constituent un élément clé de cette planification.

Les villes indiennes sont dans l’attente du lancement de l’appel à projets « smart-cities » qui devrait débuter début juin 2015. Les villes auront jusqu’à la fin de l’année pour rédiger leur réponse à cet appel, suivant les directives édictées par le Ministère du Développement Urbain. Les plans de développement devront impérativement répondre aux exigences de soutenabilité. Dix villes seront ensuite sélectionnées par le gouvernement central pour l’année 2016, et recevront pendant cinq ans la somme annuelle de 1 milliard de roupies (14 M€). Ce financement est une opportunité inouïe pour des villes en pleine transformation de voir leurs projets se réaliser dans les cinq prochaines années. Cependant, le défi majeur reste que ce développement prenne effectivement en compte les problématiques d’efficacité énergétique et de soutenabilité… La réponse se trouvera en partie dans le suivi du projet phare du président Modi, « Dholera », « smart-city » construite de toute pièce à 100 km de la capitale de l’Etat du Gujarat, Ahmedabad.

ETAT DES LIEUX:

Ce rapport concentre l’ensemble des récentes problématiques dans le secteur du transport de personnes dans les villes indiennes, les principales dynamiques et les tendances à venir.

PROJECTEUR SUR HUIT VILLES INDIENNES :

Afin de compléter cet état des lieux et de donner une vision plus précise du contexte des transports urbains, et des disparités fortes entre les différentes villes, ces monographies permettent d’approfondir le contexte urbain de huit villes indiennes. Celles-ci seront disponibles très prochainement :

  • Ahmedabad, la ville du BRT
  • Bangalore, une volonté de promouvoir les transports non-motorisés
  • Delhi, un réseau de métro exemplaire
  • Hyderabad, une capitale à la tête de deux Etats
  • Kochi, une ville entre terre et mer
  • Lucknow, un besoin urgent en transports urbains
  • Mumbai, une mobilité contrainte par son territoire
  • Pune / Pimpri-Chinchwad, l’histoire d’un long et fastidieux jumelage

Ce travail a été réalisé par Mathieu MARTIN et Marion HOYEZ, aujourd’hui diplômés du Master ISUR (Ingénierie des Services Urbains en Réseaux dans les pays en développement – Sciences Po Rennes), au cours de leur stage de fin d’étude effectué à l’Institut des Transports Urbains (IUT) de Delhi, en partenariat avec CODATU. Ils ont pendant cette période participé à deux études : l’une portant sur l’amélioration et la réorganisation du transport artisanal en Inde, l’autre portant sur la rédaction d’un guide permettant la mise en place d’un système de transport intégré. Ils ont également rédigé un état des lieux de la situation des transports urbains en Inde; rapport qu’ils ont enrichi et affiné au fur et à mesure de leurs rencontres et de leurs recherches sur place.

Novembre 2017: La revue « Ville, Rail & Transports » publie un article sur l’explosion du métro en Inde : Télécharger ici.