1 novembre 2018

Le rôle du tarif du transport public et son poids sur les dépenses des usagers

Dans des mégalopoles comme São Paulo (21 millions d’habitants) et Rio de Janeiro (12 millions), on compte respectivement 43,7[1] et 22,6[2] millions de déplacements tous les jours.

Dans ces agglomérations, ainsi que dans plusieurs villes du Brésil et du monde émergent, la croissance des villes a donné lieu à une organisation urbaine qui a éloigné – et éloigne toujours – la population vers des zones plus périphériques des villes. Ce type d’organisation est composé, de façon simplifiée, d’un centre historique qui joue le rôle de centre d’activités économiques, dans lequel les immeubles résidentiels ont disparu au profit de bureaux et de pôles d’affaires plus récents, qui essaient de mixer les usages (bureaux et logements) ; toutefois l’usage entrepreneurial reste prédominant. Ensuite, les quartiers voisins à ces centres sont, plus généralement, habités par les classes sociales riches, qui peuvent tenir la pression immobilière des localités proches des centres d’activités. Finalement, écartée de ces centres, la population moins favorisée, qui souvent a un travail informel et touche un salaire minimum, finit par être la première victime de l’étalement urbain, se déplaçant vers les zones plus périphériques des métropoles, et habitant de plus en plus loin de centres d’affaires. C’est justement cette population qui devient dépendante des transports en commun pour les déplacements quotidiens et pendulaires domicile-travail. Les trajets peuvent durer jusqu’à 2h30min et obliger l’individu à faire plus de trois correspondances, compromettant significativement le budget familial.

Ces dernières années ont été mises en œuvre à São Paulo et Rio de Janeiro certaines mesures pour ces usagers qui dépensent beaucoup dans les transports en commun. A São Paulo, par exemple, la mise en place du Bilhete Único (BU), en mai 2004, a permis aux usagers de payer un seul tarif et faire jusqu’à trois correspondances, ou quatre voyages, dans le système de bus municipaux sur une période de trois heures. Depuis décembre 2015, les réseaux de métro et de trains de banlieue acceptent le BU et l’usager bénéficie actuellement d’une réduction de 13% sur le deuxième voyage de son déplacement. Aussi dans la Région Métropolitaine de São Paulo, le Bilhete Ônibus Metropolitano (BOM) est un support de paiment et accepté dans les bus métropolitains et dans les réseaux de métro et trains de banlieue, sans pour autant offrir intégration ou réduction tarifaire.

A Rio de Janeiro, le Billet Unique Carioca (BUC) a été mis en place en 2010, utilisé dans les bus municipaux, le tramway et le BRT et permet une correspondance sur une période de 2h30. En ce qui concerne le Bilhete Único Intermunicipal, il n’est destiné qu’aux usagers aux revenus inférieurs à R$ 3205,20 dans les bus intermunicipaux, le métro, les trains de banlieue, les ferrys et dans le BRT. Il n’y a pas d’intégration tarifaire entre trains, métro et bus municipaux.

Malgré ces évolutions, qui visent à rendre le système de transport collectif plus attractif pour les usagers, on constate que le transport en commun rencontre des difficultés d’attractivité par rapport au transport individuel. En partie, on peut attribuer ce fait à la croissance économique brésilienne des dernières 15 années et, par conséquence, l’accès facilité à la voiture et à la moto particulières. Cependant, il existe toujours des marges de manœuvre politiques, opérationnelles et financières pour améliorer le système de transport en commun brésilien. Le but de cet article est, justement, de montrer quelques lacunes où l’on pourrait agir, mettant en évidence des avantages et des inconvénients, afin de diminuer le poids du transport public sur le budget familial et augmenter l’attractivité du système.

1. Le rôle du tarif du transport public

La politique tarifaire du transport public doit répondre à trois fonctions principales : (1) financer le système de transport collectif, (2) correspondre à une politique sociale soutenue par l’administration publique et (3) être le moteur de l’évolution des comportements de mobilité[3]. Cependant, la définition d’une politique tarifaire et d’un tarif juste pour tous, n’est pas un exercice aisé.

Tout d’abord, le système a besoin de capital pour son fonctionnement et le tarif payé par l’usager peut couvrir la totalité ou une partie de ce coût. Au Brésil, dans la plupart des systèmes de transport urbain, le calcul du tarif est basé sur le coût de fonctionnement du système, la recette tarifaire étant la seule source de financement. L’usager, excessivement grevé par cela, choisit de ne pas utiliser le transport, ce qui crée un cercle vicieux : plus le nombre de passagers est bas, plus le tarif augmente, éloignant encore une fois les passagers et ainsi de suite. Ce cycle est exacerbé lorsqu’on constate que les systèmes sont, dans des nombreux cas, inefficients du fait de ne pas exploiter la complémentarité des différents modes de transport, les mettant, en revanche, en compétition sur un même itinéraire. Le résultat est un système cher qui ne satisfait pas totalement les besoins des usagers.

Le cas de l’Ile-de-France est mondialement connu avec des recettes tarifaires qui ne couvrent que 28% du coût de fonctionnement du système[4]. L’autre part est financée par les collectivités (subventions et impôts), les recettes non-tarifaires et, surtout, les employeurs via le Versement Transport (47%). Il s’agit d’une taxe calculée sur la masse salariale des entreprises privées et des établissements publics de 11 salariés ou plus, qui varie de 0,55%, dans les petites agglomérations, à 2,85% en région parisienne[5]. L’un des justificatifs pour ce type de taxe est que le salarié peut se rendre sur son lieu de travail à l’heure grâce à un système de transport de qualité, les employeurs ont donc besoin de contribuer à l’exploitation et à la maintenance du système.

Ensuite, le tarif doit être juste envers tous les usagers du système, afin de promouvoir une équité sociale et territoriale de l’agglomération urbaine et de faciliter l’accès aux services, aux commerces, aux loisirs, aux emplois et a l’éducation. Or on remarque que les gratuités prennent une part importante des voyages en transport en commun. En 2016, les gratuités ont représenté 19% du total de voyages dans la RMSP[6] et 18% dans le système de bus municipaux cariocas[7]. Dans la plupart des cas, les gratuités sont concédées selon le statut social de la personne (étudiants, seniors, personnes à mobilité réduite, militaires…) et ne sont pas pris en charge par les opérateurs. Cela signifie qu’un usager à bas revenu finance le tarif d’un étudiant ou d’un senior aisé, qui aurait les moyens de payer son transport. Dans ce sens, la gratuité basée sur le revenu familial semblerait plus juste.

Enfin, le tarif doit inciter au report modal du transport individuel au transport public, réduisant ainsi les émissions de gaz polluants et assurant son rôle environnemental. Toutefois, trouver l’équilibre permettant de stimuler le report modal est assez compliqué. Si le tarif est trop élevé, cela décourage les plus pauvres de prendre les transports en commun, mais leur offre un trajet de meilleure qualité, ce qui, a priori, attirerait les usagers de l’automobile et des deux roues. Pourtant, si le tarif n’est pas cher, il est impossible d’atteindre le petit équilibre, ce qui limite la qualité du service et écarte les usagers riches.

Il y a des dispositifs qui peuvent garantir le financement croisé des transports en commun par le transport individuel et venir compléter le budget du système public. La ville brésilienne de Fortaleza en a mis un en œuvre récemment. La Mairie a promulgué en juin 2018 une loi qui re-investi toutes les recettes du stationnement sur la voie publique (Zona Azul) dans des politiques cyclables (déploiement de stations de vélos en libre-service, développement et entretien des pistes cyclables)[8]. Au niveau national, il existe la CIDE-Combustíveis (Contribution d’intervention au domaine économique), impôt sur les carburants recueilli par l’État et reversé aux instances régionales et locales, qui, d’après la loi, sert au financement de programmes d’infrastructure de transport public. Néanmoins, une étude d’IPEA[9] montre que la CIDE pourrait également servir au financement de l’exploitation du transport urbain, ce qui réduirait le tarif pour l’usager, et inciterait à l’usage du transport collectif.

2. Des titres de transport qui aident à réduire le poids du transport public sur le revenu des usagers

Le Brésil est peut-être l’un des seuls pays, depuis 2015, à inscrire le transport comme droit social dans sa Constitution[10]. Ce degré d’importance se justifie par le fait que le transport est, en effet, le seul moyen d’accéder à d’autres services urbains de base, tel que l’éducation, le travail, la santé et les loisirs[11]. Cependant, l’inclusion du transport en tant que droit de base n’assure pas au citoyen l’amélioration immédiate des systèmes de transport public. Des politiques publiques efficientes doivent être créées afin de donner effet à ce droit, augmentant l’accessibilité de la population aux services. Notamment, les tarifs élevés des services de transport public sont incompatibles avec le revenu des classes sociales les plus pauvres, ce qui représente un véritable frein pour l’intégration de la société[12].

Dans cette idée ou le transport est indispensable à la vie quotidienne, on peut se poser la question suivante : combien les dépenses de transport peuvent-elles représenter sur le revenu d’un individu ou d’une famille ? La Banque Canadienne Desjardins recommande une proportion de 10 à 15% du budget familial mensuel[13]. Au Brésil, en 2008-2009, les dépenses de transport (particulier et public) représentaient, en moyenne, 15,8% du revenu familial. Ce chiffre peut varier entre 13,8% pour les plus riches et aller jusqu’à 21,8% pour les plus pauvres[14]. En termes de dépenses, le transport consommait 19,8% du total des dépenses du ménage, après les dépenses de logement[15]. En France, ce pourcentage était de 13,7% en 2016 [16].

En ce qui concerne l’individu, d’après CAF[17], le seuil ne devrait pas dépasser les 6% du salaire minimum, prenant en compte 25 jours ouvrés par mois et 2 voyages par jour. Sur ce raisonnement, on peut remarquer que ce pourcentage peut augmenter et varier sensiblement selon la ville analysée. Le tableau ci-après présente une comparaison du pourcentage des frais mensuelles de transport en commun par rapport au salaire minimum à São Paulo, à Rio de Janeiro et dans des capitales latino-américaines et européennes.

Tableau 1 – Pourcentage des frais pour 50 voyages par rapport à un salaire minimum.[18] [19]

De ces chiffres, on peut conclure que l’employé brésilien utilise une grande part de son salaire pour se rendre au travail. Une situation contre-productive, puisque l’employé est moins motivé à travailler dans ces conditions. Le Vale-Transporte offre la possibilité à l’employeur de contribuer aux dépenses de transport de ses employés, moyennant une réduction de jusqu’à 6% de leurs salaires pour que le bénéfice soit acquis[22].

Mais que pourrait-on faire pour améliorer la situation dans les métropoles brésiliennes ?

Une possibilité pour soulager la charge des transports chez les Brésiliens serait la mise en œuvre d’abonnements de transport – journaliers, hebdomadaires ou annuels -, une pratique adoptée par différents systèmes de transport il y a longtemps. En possession d’un abonnement, l’usager peut utiliser librement tous les modes de transport du réseau. Au-delà de se traduire par un affaiblissement des dépenses de transports dans le budget familial, l’abonnement rend possible l’intermodalité dans un réseau composé de différents modes de transport complémentaires, l’usager pouvant utiliser le réseau comme il le souhaite et autant de fois qu’il le souhaite. L’usager est libre de choisir la meilleure combinaison de modes pour son trajet, indépendamment du nombre de correspondances et du coût du voyage.

Toutefois, un abonnement représente une baisse des recettes tarifaires car l’usager réalise plus de voyages pour une valeur unique. Cela suscite beaucoup d’interrogations autour de la durabilité financière du système. Par contre, la réduction du tarif déclenche des effets qui finissent par compenser la baisse des recettes, tel qu’illustré sur le schéma ci-dessous. Elle augmente l’attractivité de l’offre de transporte public, générant une hausse du nombre d’usagers, ce qui vient compenser la réduction du tarif concédée. L’implantation du BU à São Paulo montre qu’il est possible de promouvoir l’intégration tarifaire tout en gardant le montant de recettes[23].

Figure 1 – Effets de la baisse du tarif. Source : Lucile Boudet, CODATU

Au Brésil, la RMSP est la seule métropole à offrir un abonnement, journalier et mensuel, intégrant le système de métro, de trains et de bus municipaux de São Paulo, mais le nombre de voyages est limité à 10 par jour. Les bus métropolitains et d’autres réseaux municipaux de l’aire métropolitaine n’y sont pas compris.

Le tableau ci-après présente une comparaison des valeurs des tarifs unitaires et des abonnements de plusieurs villes, ainsi que le nombre de voyages à partir duquel l’abonnement est avantageux. Il s’agit d’une analyse simple basée sur l’hypothèse que les usagers réalisent seulement le trajet domicile-travail en transport en commun.

Tableau 2 – Nombre de voyages pour rentabiliser l’abonnement.

Cependant, Il faut souligner que l’index de mobilité (nombre de voyages par jour par habitant) varie d’une ville à une autre. Par exemple, à São Paulo, cet index était de 2,18 voyages/jour/habitant en 2012[24]. A Paris, ce chiffre était de 3,87 en 2010[25]. Ainsi, l’abonnement mensuel parisien est encore plus avantageux pour l’usager moyen, car, naturellement, il utilise plus les transports en commun par rapport à l’usager moyen de São Paulo. C’est-à-dire, tenant compte de ces index, un usager moyen de Paris rentabilise son abonnement en 10,3 jours alors qu’à São Paulo l’usager en met 22,5 jours.

Suite à une consultation sur les principaux réseaux latino-américains de métro (Mexico, Santiago et Buenos Aires), on constate qu’aucun d’eux n’offre une modalité d’abonnement illimité. Il faut souligner que Buenos Aires applique une politique de réductions du tarif, par paliers, selon le nombre de voyages par mois, comme présenté par le tableau ci-dessous.

 

3. Enjeu complexe et de long terme

Actuellement, l’un des grands enjeux est de trouver un tarif équilibré qui arrive à répondre aux trois rôles d’une politique tarifaire. Cependant, dans un contexte où les transporteurs sont rémunérés par le tarif payé par les usagers, l’optimisation du réseau aurait comme conséquence une réduction du tarif directement proportionnelle aux économies réalisées par les transporteurs. C’est une étape de court-moyen terme qui semble réalisable, s’il n’y avait pas dans les métropoles brésiliennes une gestion fragmentée des services de transport urbain, entre État Fédéré et Municipalité, et un manque d’articulation institutionnelle entre ces sphères de gouvernement. D’autres mécanismes, qui demandent plus de temps en termes de procédures d’approbation légale par les décideurs publiques, pourraient être envisagés pas-à-pas sur un plus long terme.

Au Brésil, on voit que quelques initiatives visent l’amélioration du système public de transports urbains. Toutefois, ces actions doivent s’adapter constamment à l’évolution des villes et des pratiques de déplacement. C’est à cette condition qu’il sera possible d’assurer un transport collectif de qualité capable de satisfaire toutes les couches de la société.

[1] Pesquisa Mobilidade 2012

[2] PDT-RJ 2015

[3] Ile-de-France Mobilités, 2017

[4] Ile-de-France Mobilités, 2016

[5] Service Public Français

[6] CPTM, EMTU, METRÔ e SPTrans

[7] FETRANSPOR

[8] O automóvel financiando a ciclomobilidade.

[9] O Uso da CIDE Para Custeio do Transporte Público Urbano (IPEA, 2016)

[10] Emenda Constitucional 90 de 2015

[11] Transporte urbano e inclusão: elementos para políticas públicas (IPEA, 2003)

[12] Transporte público coletivo: discutindo acessibilidade, mobilidade e qualidade de vida

[13] Budget Express

[14] Gastos das famílias brasileiras com transporte urbano público e privado no Brasil: uma análise da POF 2003 e 2009, IPEA

[15] Pesquisa Orçamento Familiar 2008-2009, IBGE

[16] Les comptes des transports en 2016

[17] Observatorio de Movilidad Urbana, Resumen Ejecutivo 2015-2016

[18] Taux d’échange du 14 septembre 2018. Source: www.xe.com

[19] Les exemples ont des rayonnements territoriaux distinctes. Cependant, à l’échelle métropolitaine, les tarifs sont, dans beaucoup de cãs, bases sur la distance parcourue ou par zones, ce qui rend plus complexe l’analyse..

[20] Trilhos = métro ou trains de banlieue ou métro+trains de banlieue

[21] Métro+bus municipal est la combinaison la plus chère entre “trilhos” et bus municipal. Trains de banlieu+bus municipal coûte R$ 8,15, et trains de banlieue+métro, R$ 8,50.

[22] Guia Trabalhista: Vale Transporte

[23] Os vários impactos do bilhete único em São Paulo e na sua região metropolitana

[24] Pesquisa Mobilidade 2012, METRÔ

[25] Enquête Globale Transport 2010