28 septembre 2016

Portrait Méditerranée : Fethi Hassine, Agence d’Urbanisme du Grand Tunis

Rencontre
avec Fethi Hassine

Directeur Général

Agence d’Urbanisme du Grand Tunis

 

Pouvez-vous nous expliquer quel est le rôle de l’AUGT ?

Fathi_Hassine_AUGT_TunisL’AUGT, pour Agence d’Urbanisme du Grand Tunis, est un établissement public à caractère administratif qui a trois missions essentielles.

La première concerne l’observation du développement urbain, à travers la création de bases de données thématiques et sectorielles. Ces bases de données nous fournissent les informations urbaines nécessaires aux études d’actualisation des documents d’urbanisme des communes. Et en vue d’une meilleure exploitation des données disponibles, l’Agence vient de constituer à partir de ces bases de données l’observatoire régional du grand Tunis dans le cadre duquel 21 indicateurs ont été identifiés pour comprendre le développement urbain et aider à la prise de décisions.

La seconde mission consiste à assister les collectivités locales en matière d’aménagement et de planification urbaine. Il existe 38 municipalités dans les 4 gouvernorats – équivalents de départements – du Grand Tunis. Selon les demandes qui peuvent venir soit des municipalités, soit des ministères, nous intervenons auprès d’une grande majorité de ces municipalités, en tant que conseillers. L’AUGT les aide à actualiser les documents d’urbanisme et les assiste éventuellement pour les plans de circulation et pour l’implantation de projets urbains structurants.

Par exemple, nous avons assisté huit de ces communes dans le cadre d’un projet pilote pour l’instauration de données municipales à travers l’établissement de SIG (Systèmes d’information géographiques) sur les différents réseaux urbains tels que l’eau, l’assainissement et l’électricité. Nous travaillons aussi directement avec les concessionnaires pour ce projet. En terme de transport urbain, nous suivons aussi un projet avec Transtu qui malheureusement piétine de par une insuffisance d’engagement de la part des deux cotés.

Enfin, notre troisième mission concerne les études et la recherche appliquée an matière d’aménagement urbain. Nous avons réalisé dans ce cadre plusieurs études, notamment une sur le transport urbain. Nous avons aussi réalisé une étude sur le transport des entreprises en 2009 et une autre sur le covoiturage l’année dernière.

Actuellement, nous travaillons à la normalisation de la voirie urbaine. En effet, les projets de voiries suivent différentes topologies au sein de la ville, et il y a un besoin de normalisation. Nous venons aussi d’entamer une étude sur la création des agences d’aménagement et d’urbanisme et la restructuration de l’AUGT, et ce dans le cadre du projet « Proville », projet d’appui à la politique de la ville. Nous comptons enfin lancer prochainement une étude sur l’élaboration d’un Livre Blanc global récapitulatif pour le Grand Tunis, et en faire un véritable cadre de cohérence pour tous les documents d’urbanisme locaux et pour les différents projets urbains qui se réaliseront dans la région de la capitale.

Pour répondre à ces missions, quelle est l’organisation de l’agence ?

L’organisation actuelle de l’agence est constituée d’une Direction Générale assistée par un comité consultatif. Les ministère représentés dans ce comité sont le MEHAT (Ministère de l’Equipement, de l’Habitat et de l’Aménagement du territoire), le Ministère des Collectivités Locales et de l’Environnement, le Ministère de l’Agriculture, le Ministère du Tourisme, le Ministère de l’Industrie, le secrétariat d’Etat des domaines de l’Etat et des affaires foncières et enfin le Ministère du Transport. A ceux-ci s’ajoutent des représentants des quatre gouvernorats et des quatre communes chefs lieux de gouvernorats. La Direction Générale supervise trois directions techniques – Gestion de l’information urbaine, Assistance aux collectivités locales, et Etudes et recherche – ainsi que deux direction horizontales – Services communs, et Formation, coopération et documentation.

De plus, l’AUGT est placée sous la tutelle du MEHAT, et donc fonctionne avec un budget supporté dans sa quasi-totalité par l’Etat.

Comment a été créée l’agence ?

L’AUGT l’héritière d’un établissement créé en 1972 et appelé le District de Tunis. Cette institution était placée sous la tutelle du Ministère de l’intérieur alors aussi chargé des collectivités locales. Elle avait pour mission de coordonner les investissements publics pour le Grand Tunis, et de suivre les projets de la planification à la réalisation. C’était une institution qui n’était pas uniquement consultative, contrairement à l’AUGT aujourd’hui. Le conseil supérieur du District, où siégeaient les ministres concernés, était présidé par le 1er ministre en personne. Ce conseil avait pour mission de prendre les décisions stratégiques et était relayé par un conseil d’administration présidé par le gouverneur-maire de Tunis et où siégeaient les maires de toutes les communes et les représentants des ministères.

Le District avait un droit de regard sur tout ce qui se planifiait comme projet public dans le Grand Tunis. Il suivait l’élaboration des documents d’urbanisme dans la région ainsi que la mise en œuvre des préconisations présentes dans les documents. Il est responsable du plan régional d’aménagement de Tunis achevé vers 1979 qui a mené à la conception du métro léger dont la première ligne a été inaugurée dans les années 80. Ce plan d’aménagement à aussi permis des projets tels que le déplacement du marché de gros de Moncef Bey, la création du centre urbain nord ou encore du pôle universitaire. Tous ces projets étaient validés et suivis par le conseil d’administration et le conseil supérieur.

La décision de transformer le District en agence d’urbanisme a été prise en 1991, et l’AUGT a été ainsi créée en 1995.

Pourquoi un tel changement a-t-il été opéré ?

Le District a été remanié car c’était une institution un peu étrangère dans un système de gouvernance très centralisée à l’époque et une politique sectorielle. Par sa capacité de prise de décision, il gênait notamment les autorités centrales au niveau le plus haut. Il gênait aussi certaines autorités sectorielles en récupérant plusieurs de leurs attributions. Plans de Développement, Plans de Circulation, enquêtes ménages, etc… Tout était suivi par le District. Celui-ci a été par la suite dépouillé de sa fonction de coordination et est devenu une structure de conseil à travers l’AUGT. A cette fin, aussi bien le code de l’urbanisme promulgué en 1979 que le code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme qui a été revu en 1994 a ont totalement ignoré le District.

Vous êtes Directeur Général de l’AUGT. Quel est votre travail au quotidien ?

Premièrement, je suis chargé de la coordination des différentes directions de l’agence. Je prépare le programme annuel et je veille au suivi de la réalisation des projets. J’interviens aussi parfois directement dans certaines études, tel que dans le plan d’aménagement de la commune de Tunis qui est en train d’être achevé, l’étude sur la création des agences d’aménagement et d’urbanisme actuellement en cours. Et en parallèle, j’assure la représentation de l’agence auprès des différents organismes.

Quel a été votre parcours avant de rejoindre l’agence ?

J’ai commencé ma carrière professionnelle en 1983 dans le privé. J’y ai travaillé quelques mois dans des agences d’architecture et un an dans une société de promotion immobilière. Mais je voulais faire de l’urbanisme et cette situation ne me convenait pas.

En mars 1985, j’ai pu rejoindre le Ministère de l’Equipement en tant que responsable du service de l’aménagement urbain au sein de la Direction Régionale de l’Equipement et de l’habitat de Médenine, au sud Tunisien. En septembre de la même année, ce service est devenu service du développement régional et de l’aménagement du territoire, représentation régionale du Commissariat Général au Développement Régional et à l’Aménagement du Territoire. J’y suis resté jusqu’en 1990. Notre rôle était alors d’élaborer les documents d’urbanisme, de contribuer à l’élaboration et de suivre la réalisation des projets de développement rural intégré, et du Programme Régional de Développement. Il s’agissait aussi d’assurer le secrétariat de la commission régionale chargée de l’élaboration du plan régional quinquennal de développement économique et social, alors présidée par le gouverneur.

Pendant cette période, nous avons été mutés du ministère et avons intégré le COGEDRAT (Commissariat Général du Développement Régional et à de l’Aménagement du Territoire). La création en septembre 1985 de ce nouvel organisme résultait d’une fusion de la Direction Générale de l’Aménagement du Territoire avec le Commissariat Général du Développement Régional qui relevait du Ministère du Plan et des Finances. Le COGEDRAT avait pour but de gérer tous les schémas directeurs généraux sur l’ensemble du territoire et a existé pendant trois ans. En 1988, peu après le changement politique intervenu dans le pays en 1987, le COGEDRAT a été scindé et nous sommes redevenus un service au sein de la Direction Régionale de l’équipement et de l’Habitat.

En 1990, j’ai été muté pendant trois ans dans le gouvernorat de Gabès, qui est ma région natale, avant de rejoindre l’administration centrale en 1993 et devenir Sous-directeur chargé de la réglementation urbaine de la coordination au sein de la Direction de l’Urbanisme. J’étais chargé à la fois de la coordination entre les services et avec les autres ministères. J’ai aussi travaillé activement à la version finale du code d’urbanisme paru en 1994 et à l’élaboration de ses textes d’application parus entre 1995 et 1999.

En 2001, je devins directeur d’une unité de Gestion par Objectif fraîchement créée pour l’aménagement de la banlieue nord de Tunis. Cette unité visait à actualiser les documents d’urbanisme et suivre les projets d’aménagements. En 2006, des unités similaires ont été créés au sein de la Direction de l’Urbanisme pour suivre l’actualisation des plans d’aménagement urbain dans toute la Tunisie, et je deviens alors le directeur d’une nouvelle unité chargé de six gouvernorats des régions du Nord-Ouest et du Centre-Ouest de la Tunisie jusqu’en 2008.

A cette date j’ai été chargé des fonctions de Directeur de l’Urbanisme au Ministère de l’Equipement, de l’Habitat et de l’Aménagement du Territoire, et ce, jusqu’en 2011, où j’ai été désigné à la tête de l’AUGT, poste que j’occupe jusqu’à présent.

Comment l’AUGT est-elle impliquée dans les projets de transport urbain ?

La planification du transport dans le Grand Tunis était une des missions essentielles du District. Mais au début des années 90, le Ministère du Transport a récupéré cette mission en prenant en main le plan d’action stratégique. Aussi, depuis sa création, l’agence est associée à certaines études notamment sur la stratégie du transport dans les années 2000, mais reste un acteur collatéral. Notre rôle est limité à du conseil, et beaucoup de projets sont réalisés sans le regard de l’agence.

Par exemple, le District planifiait la réalisation d’une enquête ménage tous les dix ans suivant le rythme des recensements. En 2004, le Ministère du Transport a actualisé l’enquête réalisée en 1994, et aucune étude n’a été faite en 2014. L’AUGT avait cependant proposé de la suivre mais rien n’a été lancé. De la même manière, le PDRT datant de 1998 n’a pas été actualisé, et l’AUGT n’a jamais été consultée à ce sujet.

En conséquence, quelle est la relation que vous avez avec les acteurs du transport ?

On souffre d’un manque de coordination ! Même si le Ministère du Transport est conscient du soutien que peut apporter l’AUGT dans la planification du transport urbain, il y a peu d’actions dans ce sens. La coordination est notamment peut évidente avec le MEHAT car chacun travaille de son côté sans se consulter. Cela a été observé lors de la réalisation des ouvrages d’art le long de la route Z4 qui n’ont pas tenu compte du projet RFR (Réseau Ferré Rapide, réseau suburbain actuellement en projet). Une autre illustration est le projet de bus en site propre le long de la route qui relie Tunis à La Marsa qui n’a été proposé par le Ministère du transport qu’après achèvement des travaux d’élargissement. Ce projet n’a jamais avancé par manque d’échanges avec le MEHAT.

Ce problème de coordination occasionne aussi des projets d’urbanisme qui manquent de logique, tel que la construction d’un nouveau centre universitaire dans une zone pas du tout accessible en transport en commun. Chacun des gouvernorats suit l’exécution de ses projets en se concertant peu et en manquant ainsi de vision globale. C’est ainsi que plusieurs administrations et institutions se retrouvent concentrés dans des quartiers qui ne peuvent pas supporter la circulation engendrée, comme c’est le cas pour le Boulevard du 9 Avril dans le centre-ville.

L’AUGT pourrait avoir d’avantages un rôle de coordination entre les différents intervenants.

C’est aussi un des rôles que prendraient les Autorités Régionales Organisatrices du Transport Terrestre (AROTT), inclues dans la loi en 2004 ?

Les AROTT sont une solution nécessaire à ces problèmes de coordination. Mais avec leur définition actuelle, ça ne peut pas marcher dans le cas du Grand Tunis ou du Sahel. En effet, selon la loi, une AROTT doit être relative à un gouvernorat. Cela nécessiterait donc quatre autorités pour le Grand Tunis (et trois pour le Sahel) ce qui rendrait la coordination à nouveau très difficile. On a besoin d’une véritable autorité urbaine sur tout un territoire urbain capable d’élaborer un document d’aménagement du territoire qui sera le réceptacle de la planification et du développement.

En 2004, lors de l’élaboration de la loi, nous avions recommandé une autorité urbaine plutôt qu’une autorité uniquement transport. Mais on était alors ancré dans une politique en silo, et on l’est encore aujourd’hui. Il y a donc un besoin réel d’une entité de planification, mais on ne sait pas encore comment la créer, quel statut lui donner ni quelle tutelle lui associer.

Plus généralement, quels sont les enjeux aujourd’hui liant l’urbanisme au transport en Tunisie ?

D’un point de vue politique, un élément essentiel est l’instauration de structures représentatives de la population, et donc dirigées par des élus. Avant la révolution, l’État dirigeait tout, mais aujourd’hui, la nécessité est à la décentralisation et à l’instauration de conseils élus. Il faut actualiser nos textes et nos institutions en fonction de la nouvelle donne. Une AROTT aujourd’hui serait pilotée par un gouverneur qui représente l’Etat et n’est pas élu. Une question de légitimité se pose donc.

Nous sommes dans une phase transitoire, avec des élections régionales et municipales qui sont encore attendues. Ces élections étaient prévues en mars 2017, ce qui semble peu réaliste aujourd’hui. Le texte de loi est encore à l’examen à l’Assemblée des Représentants du Peuple (A.R.P). La haute instance des élections estime à 8 mois, la durée minimale pour pour pouvoir organiser les élections après la promulgation du texte, et on évoque maintenant octobre 2017 pour ces élections.

D’un point de vue administratif, on ne peut pas mener pour une même agglomération des politiques urbaines différentes d’un gouvernorat à l’autre. Avec le développement urbain à Tunis, le découpage administratif actuel n’est plus toujours pertinent. C’est pour cela qu’il faut un niveau supra-gouvernoral avec une structure du même type que le District de Tunis. Le conseil du district, constitué par des élus indirects, a été inscrit dans la nouvelle constitution. Celle-ci prévoit trois niveaux de collectivités le local correspondant aux municipalités, le régional correspondant aux gouvernorats et le niveau de district à installer puisqu’il n’existe pas actuellement. Mais avec le problème des élections, l’affaire des districts n’est pas à l’ordre du jour. Or il faut accélérer les démarches pour retrouver ce type de structure.

Si l’on devait imaginer une solution concrète aujourd’hui, que proposer ?

Une solution serait de créer une unité GPO temporaire interdépartementale qui rassemble plusieurs départements. Le transport est une donnée essentielle, mais elle ne se suffit pas à elle même. Il est par exemple primordial de l’associer aux travaux d’équipements dans la planification. Une telle unité devra avoir un bras décisionnel et un bras technique. Il est en effet important de différencier la planification de la réalisation. En termes de planification, on a besoin de rassembler tous les acteurs. Mais pour la réalisation, chacun doit appliquer les décisions en mettant en œuvre ses propres compétences requises.

Pour terminer, comment voyez-vous vos prochaines années ?

Je suis fonctionnaire de l’État jusqu’en Octobre 2017. Je ne sais pas encore si cela va être prolongé, mais je réfléchis à devenir consultant indépendant dans l’avenir. J’ai une expérience et des compétences en matière de planification et de gestion du développement urbain ainsi qu’en matière de développement régional qui pourraient ainsi être mises à profit.