3 octobre 2016

Nino – Pedalo : une start-up tunisienne pour les consignes à vélo

Pouvez-vous
nous parler de votre société?

AdnenPedalo est la première société de coursier à Tunis « 100% vélo » et qui propose aux entreprises et aux particuliers un service de coursier et de livraison de proximité que ce soit des lettres, des factures, des clés, des pizzas, de la nourriture, etc.

Officiellement la société s’appelle Nino s.u.a.r.l. mais son nom commercial actuel est Pedalo ; dans les prochains mois Nino va devenir une s.a.r.l. grâce à une augmentation de capital et l’entrée de nouveaux actionnaires. Les deux types de sociétés sont dans la même catégorie de  »sociétés de personnes » ; la différence est que la s.u.a.r.l., société unipersonnelle à responsabilité limitée, est créée et gérée par une seule personne qui détiens 100% des parts alors que la s.a.r.l., société à responsabilité limitée, est fait entre 2-10 personnes avec des parts en pourcentages que eux définissent selon le capital ou la valorisation du chiffre d’affaire.

Qu’est-ce que vous a incité à travailler dans la mobilité ?

C’était en 2007! J’étais parti en vacances au Canada et j’ai eu la chance de rencontrer « 911 corriers », une entreprise de coursier à vélo de Montréal. C’était la grande mode à l’époque et tous les jeunes voulaient travailler à vélo. J’ai travaillé une journée chez « 911 corriers ». Le premières deux heures en tant que coursier : je faisais des livraisons avec leur vélo et leur walky-talky. Il n’y avait pas encore de smartphones ! Plus tard dans la journée, j’ai passé deux heures dans les bureaux où j’ai pu suivre de plus près l’organisation logistique, ainsi que les démarches commerciales et administratives. J’ai appris comment rédiger des fiches de poste, comment payer les impôts et je présentais nos services aux clients. Je leur expliquais, par exemple, qu’à l’heure de pointe les tarifs sont trois fois plus chers que dans les autres créneaux.

Quel a été votre parcours ? Vos précédentes expériences ?

J’ai travaillé dans plusieurs domaines ; mon grand-père disait qu’un vrai homme doit savoir comment tous les choses marchent dans le monde. J’ai fait mes études à la Tunis Business School et j’ai réussi un diplôme en Management avec une spécialisation en marketing, nouvelles technologies et global affaires. Actuellement, je prends des cours en ligne (MOOC : Massive Open Online Course) pour me tenir à jour régulièrement.

En quoi consiste votre poste actuel ?

Je suis le fondateur et le CEO de Nino – Pedalo depuis 2013.

Comment avez-vous créé Nino-Pedalo ?

Depuis 2007, j’ai toujours voulu créer une société comme « 911 corriers » en Tunisie mais je n’avais ni les moyens ni les connaissances ni le support.

Entre 2007 et 2013, j’avais réussi à mettre de côté 3 miles dinars et ils m’en manquaient 2 miles pour pouvoir lancer mon projet. J’avais 22 ans et j’étais étudiant : bien évidemment aucune banque n’acceptait de me fournir un prêt. Ma famille m’a alors aidé en contribuant à hauteur de 2 miles à condition d’intégrer le commerce dans mon projet : j’ai accepté et la société Nino pour le commerce et la distribution de produits détergents est née.

J’ai loué une petite boutique dans un quartier populaire dans laquelle je vends des détergents de moyenne qualité à prix bas avec livraison à domicile. La première année il n’a pas été un gros succès avec seulement 500 dinars de chiffre d’affaire ; il ne me restais presque rien pour financer mes études. La difficulté à décoller était liée aussi à des raisons culturelles du public ciblé : dans le quartier populaire, les femmes n’aiment pas recevoir quelqu’un qui tape à la porte. J’ai alors adapté mon business : j’ai donc ciblé les petites et moyennes entreprises du du business district qui se trouve juste à côté du quartier populaire. De plus, elles peuvent déduire la TVA sous présentation de nos factures. Maintenant, ça marche beaucoup mieux. Pedalo offre différents services tels que la livraison et le transport d’objets mais on s’occupe aussi d’accomplir un certain nombre de démarches pour nos clients (payement des impôts, collecte de papiers, lettres, colis, etc.). Les grandes sociétés ont leurs propres coursiers, nous on assure le même service aux petits commerces aussi.

Au début, on achetait les vélos et on recrutait des coursiers pour les conduire, mais ce n’était pas très rentable car le coursier ne se prenait pas soin du vélo comme si s’était le sien. Maintenant, on recrute seulement de gens avec leur propre vélo mais nous nous prenons soins d’assurer leur sécurité en leur fournissant un casque et un cadenas.

En décembre 2015, j’ai restructuré Nino-Pedalo et j’ai divisé la société en deux : la boutique, vente en gros de produits détergents, et Pedalo qui fait ce que j’appelle du urban logistics consulting et des livraisons à vélo.

Pedalo s’occupe principalement de la livraison, des services par coursier et du « consulting en logistique urbaine » c’est-à-dire du conseil à des entreprises multinationales dans le cadre de leur plan opérationnel pour optimiser les déplacements et le transport des marchandises. Mon expérience avec Pedalo m’a permis en effet d’acquérir une bonne connaissance des rues mais aussi du trafic et j’ai pu ainsi faire fructifier cette expérience au service de grandes entreprises tunisiennes.

Pendant mes études j’ai suivi beaucoup de cours de logistiques mais la théorie n’est pas du tout adaptée à la réalité en Tunisie. C’est la connaissance du terrain qui permet le succès d’activité comme la mienne : connaitre les rues qui ne sont pas connues ou pas accessibles me permet de planifier des parcours multimodaux de livraison. Dans les médinas, par exemple, le seul moyen accessible est la brouette, mêmes les vélos ont du mal.

Quel est la structure de votre entreprise?

Depuis septembre, l’équipe est composée de 5 personnes copropriétaires et coursiers au même temps. Parmi mes collègues, quelqu’un travaille sur l’application mobile. Heureusement, notre équipe a toute les compétences nécessaires pour développer ce type de business et partage la passion pour le vélo, la passion d’être libre. Le vélo est pour moi le meilleur moyen pour se sentir libre. Le nombre d’effectif et notamment de coursiers varie en fonction de la demande. Leur salaire est de 5 dinar par jours, 150 dinars par mois, salaire de base pour un coursier auquel il faut ajouter les commissions pour chaque course.

Quels sont les principaux enjeux auxquels vous faites généralement face ?

D’un côté, les routes ne sont pas aménagéesr pour le vélo : à Tunis il y a seulement une piste cyclable qui a été financée par la Banque Mondiale mais qui est maintenant fermée.

D’un autre côté, la police n’accepte pas encore le concept du jeune à vélo qui fait des livraisons ; les policiers nous arrêtent souvent pour faire des contrôles et c’est gênant quand ’on est serré avec les temps.

Les enjeux environnementaux sont importants pour Pedalo?

Les enjeux environnementaux sont inclus dans la présentation commercial mais ils passent presque inaperçu car le 90% de personnes regarde seulement le prix. On a cherché à lancer une sensibilisation environnementale sur les livraisons que nous sommes obligés d’effectuer en voiture (par exemple pour des trop grands colis). Pour toute livraison motorisée on est en train de calculer nos marges effectives pour avoir au moins 50% du revenu/course versé à une association de reboisement. Cette formule marche bien notamment dans le mois d’octobre en occasion de la fête des arbres.

Satisfait ? Comment imaginez-vous vos prochaines années ? Ici ou ailleurs ?

Satisfait : j’ai monté une société qui est un succès ! Mais au fur et à mesure que la Nino-Pedalo grandie mon boulot et ma responsabilité augmentent.

On travaille sur une application mobile pour donner la possibilité de réserver les services en ligne et pour suivre le coursier en temps réel. L’application mobile va permettre l’intégration du service dans le e-commerce.

Dans mon plan pour l’avenir, j’aurais envie de lancer Pedalo à Sfax, la capitale économique, et à Sousse. Nous sommes en train d’évaluer la possibilité de franchiser « Nino-Pedalo » pour reproduire notre expérience dans d’autres villes. Parfois, je pense aussi à changer et passer au modèle coopérative solidale dans laquelle les associés sont les coursiers ; un modèle qui pourrait être particulièrement adapté au milieu rural et contribuer ainsi à l’insertion de jeunes tunisiens dans le monde du travail.