22 septembre 2017

Mobilités connectées partie II – La donnée, un enjeu majeur pour les mobilités connectées

 

Comme
dans de multiples secteurs aujourd’hui, le secteur de la mobilité, et notamment de la mobilité urbaine, connaît une véritable transformation à travers le monde avec l’arrivée des technologies du numérique. Ces technologies ont permis l’amélioration de l’efficacité des réseaux existants mais aussi la création de nouveaux services de mobilité inédits, personnalisés et flexibles. Certains auteurs parlent de « mobilité intelligente » traduisant essentiellement une optimisation du fonctionnement des réseaux grâce à la présence de systèmes automatisés. A travers cette mobilité intelligente, les services traditionnels d’une part s’adaptent mieux à la demande grâce à de nouveaux systèmes d’informations analysant les déplacements à travers capteurs, caméras ou systèmes de géolocalisation. D’autre part, la gestion des nouveaux services – covoiturage, VTC ou bus à la demande – repose aujourd’hui essentiellement sur le numérique. Dans les deux cas, le numérique est aussi utilisé comme un medium majeur pour communiquer avec les voyageurs. Ce dossier s’intéresse à la notion de mobilités connectées en considérant l’outil numérique comme un nouveau medium qui renforce la pertinence des services de mobilité associés et son adaptabilité à la demande. Parmi les différents canaux utilisés, le smartphone occupe de plus en plus de place dans la vie courante, et permet la création de nouveaux services extrêmement flexibles, réactifs, créatifs, et responsables d’une certaine évolution des comportements. Pour le fonctionnement et le développement de ces services, la donnée numérique (la « Data ») est devenue une véritable clé de voûte qui peut se manifester sous différentes formes telles que le Big Data, l’Open Data ou le Personal Data. La disponibilité, la création, la gestion, ou la valorisation de ces données autour du service de transport a atteint un degré d’importance pour les transporteurs égal au service lui-même. Derrière ces services apparaissent aussi de nouvelles compétences et acteurs venant ainsi compléter, enrichir ou bien concurrencer les acteurs traditionnels. Ces acteurs apportent avec eux de nouveaux modèles économiques qui chamboulent l’économie du transport traditionnel. Ce sont ces différentes problématiques que ce dossier propose d’étudier en trois parties : (I) l’analyse des nouveaux comportements et services de mobilité apportés par le numérique ; (II) les enjeux révélés par ces comportements, notamment dans la création, l’accessibilité et l’usage des données de mobilité ; et enfin (III) les mutations du paysage professionnel et économique de la mobilité urbaine qui en découlent.

Partie I : Les mobilités connectées à travers le prisme des applications mobiles : Vers une nouvelle forme de service
Partie II : La donnée, un enjeu majeur pour les mobilités connectées
Partie III : Mutation des acteurs et nouvelles formes d’économie (à paraître)

Partie II

La donnée, un enjeu majeur pour les mobilités connectées

Depuis plusieurs années, les services de mobilité numérique – essentiellement les applications mobiles – sont en pleine expansion. Dans les zones urbaines de toutes les tailles à travers le monde, de nombreux acteurs, aussi bien publics que privés, proposent de nouveaux services aux populations allant de l’information voyageur à de véritables moyens de transport alternatif. Ces applications – parfois à succès – sont de très grande valeur car étant capables d’agir sur les comportements des usagers en les rendent notamment plus intelligents dans leurs déplacements.

L’information est au cœur du fonctionnement de ces nouvelles applications qui impliquent une véritable dématérialisation des services, quelle que soit leur catégorie (voir Partie I). Les applications de planification de voyage telles que RATP (Paris), TCL (Lyon), ou encore Moovit ou CityMapper ont pour raison d’être le traitement et la diffusion de l’information aux usagers. Pour des applications de billetterie mobile appliquées au transport public, le ticket est dématérialisé et remplacé par de l’information. Enfin, les services de VTC tels qu’Uber ou Lyft reposent essentiellement sur les informations échangées entre les clients et chauffeurs, principalement temporelles, géographiques et pécuniaires : Où se situe le client, dans combien de temps arrive la voiture, et combien la course va-t-elle couter ?

En informatique, une information est un « élément de connaissance susceptible d’être représenté à l’aide de conventions pour être conservé, traité ou communiqué. » (Larousse, 2016). Ce sont sur ces points que résident des enjeux majeurs des services du numérique : comment assurer et valoriser la conservation, le traitement et la communication de ces informations ? Cette représentation conventionnelle évoquée dans la définition précédente est ce qu’on appelle une donnée. C’est le traitement de cette donnée qui est donc fondamental pour le fonctionnement des nouveaux services numériques, et ainsi pour le développement de la mobilité connectée.

La donnée numérique comme un nouveau type de ressource

Il existe dans le secteur du transport une multitude de données qui sont utilisées chaque jour par les exploitants, les autorités organisatrices et autres acteurs, spécifiquement pour les nouveaux services numériques destinés aux usagers. Ces données peuvent être réparties suivant deux grands types (Chignard, 2012) : les données statiques et les données temps réel. Les données statiques produisent de l’information basique sur les réseaux : les emplacements des stations, les plans de lignes, les grilles tarifaires, les horaires théoriques, etc. Les données temps réel permettent à l’aide des nouvelles technologies de l’information et de la communication de construire de l’information dynamique sur l’état des réseaux : horaires de passage actualisées, incidents en temps réel, flux de passagers, etc.

Quelques notions sont aussi à identifier et à ne pas confondre. D’une part, selon leur calibre, on peut parler de Big Data ou de Small Data. Les Big Data, ou en français « mégadonnées », sont définies par le Journal Officiel comme des « données structurées ou non dont le très grand volume requiert des outils d’analyse adaptés »[i]. Les Big Data sont spécifiées selon le « principe des trois V » : Volume (en l’occurrence massif), Variété (selon que les données sont brutes ou plus structurées), et Vélocité (soit la capacité de produire et traiter ces données en temps réel)[ii]. Leur complexité permet des analyses plus précises du service en vue de l’améliorer. Les Big Data sont de plus en plus présentes dans les réseaux de transport du monde avec le développement des nouvelles technologies, et les villes du Sud s’y mettent progressivement. A Rio de Janeiro, un centre d’opérations intelligent pour des services publics comme le transport a été récemment mis en place[iii], à Casablanca, le tramway, exploité par une filiale de RATP Dev, améliore son service à l’aide de nouveaux outils d’analyse du Big Data[iv], ou encore à Singapour, l’autorité organisatrice du transport utilise les Big Data pour étudier les déplacements des usagers du transport en commun[v]. Les Big Data sont à mettre en contraste avec les « Small Data », données définies comme de plus petites tailles et notamment assez petites pour l’entendement humain. Des horaires théoriques de bus relèvent par exemples des Small Data.

Figure 1 : The Data Spectrum – Résumé des différents types de données selon l’Open Data Institute
Source : https://theodi.org

Indépendamment, selon leur niveau d’accessibilité, ces données peuvent être soit « Fermées », « Partagées » ou « Ouvertes » (on parle de Closed Data, Shared Data et d’Open Data, voir image ci-dessus). The Open Data Institute donne les définitions suivantes pour ces trois niveaux[vi] : une donnée fermée est une donnée accessible uniquement par son propriétaire ou détenteur ; une donnée partagée est accessible par des personnes ou organisations selon certaines conditions ; et une donnée ouverte est accessible, utilisable et partageable par tous. Le concept d’Open Data, le plus intéressant, est abordé par la suite.

Enfin, une donnée peut être à caractère personnel ou non personnel. Selon l’article 2 de la loi française « Informations et libertés » : « constitue une donnée à caractère personnel toute information relative à une personne physique identifiée ou qui peut être identifiée, directement ou indirectement, par référence à un numéro d’identification ou à un ou plusieurs éléments qui lui sont propres ». Par exemple, un abonnement de transport portant un numéro d’identification, ou bien des données de géolocalisation d’un smartphone peuvent être à caractère personnel, tandis que des chiffres sur la fréquentation d’un réseau sont à caractère non personnel. Idéalement, des données personnelles doivent rester fermées au nom du principe de protection de la vie privée, même si ce principe n’est pas toujours respecté dans le monde du numérique.

Figure 2 : Schéma des interactions entre acteurs du transport et jeux de données
Source : CODATU

Afin de visualiser la place de ces données dans le développement de la mobilité connectée et des nouveaux services numériques mobiles, le schéma en figure 2 propose de manière non exhaustive une mise en perspective des interactions avec les différents acteurs. En jaune y sont représentés les réseaux (transports publics ou privés) et les services numériques associés (surtout des applications mobiles). En bleu sont représentés les différentes catégories d’acteurs, et en vert les données. Ces dernières ont été partagées en trois bulles selon leur origine et leurs usages. Les données ouvertes et partagées produites par les professionnels du transport à travers l’exploitation de leur réseau sont une source principale pour le fonctionnement des services numériques. Mais les développeurs privés et particuliers peuvent produire leurs propres données (qui peuvent être fermées ou partagées) pour le développement des services. C’est la stratégie de la startup Citymapper, qui complète les données Open Data récupérées avec des données additionnelles.[vii] Certains développeurs privés n’hésitent d’ailleurs pas à s’associer avec les professionnels pour partager leurs données collectées avec leurs propres outils afin d’améliorer le service.

On parle depuis plusieurs années de la donnée comme étant un « nouveau pétrole ». Cette expression a été introduite en 2006 par le mathématicien Clive Humby. La comparaison de la donnée avec du pétrole a été justifiée par le fait qu’elle peut être comparée à une véritable ressource brute : elle peut être vendue, elle est essentielle au développement de services, et elle a besoin d’être analysée (ou « raffinée ») pour prendre toute sa valeur. Dans le secteur du transport urbain, ces données sont d’autant plus précieuses que leur traitement en information peut avoir un impact direct sur la qualité de service. Par exemple, un exploitant capable de connaitre – en temps réel ou non – la fréquentation de ses lignes de transport peut ajuster la fréquence des véhicules. Et à un horizon plus large, l’analyse de ces informations lui permettra de mieux planifier les extensions des réseaux.

Si l’expression de « nouveau pétrole » possède certains fondements en présentant la donnée comme une ressource essentielle, des spécialistes présentent cette analogie comme assez limitée voire erronée[viii]. En effet, là où une ressource naturelle telle que le pétrole s’épuise au fur et à mesure de son utilisation, et ainsi voit sa valeur augmenter (le baril de pétrole est passé en 50 ans de 3 $ à 70 $ en moyenne[ix]), l’utilisation de la donnée ne l’épuise pas mais elle l’enrichit. En 2013, 2/3 de l’ensemble global des données numériques (transport compris) sont produites par les consommateurs. Et de 2013 à 2020, le volume de ces données dans le monde est ainsi supposé être multiplié par 10[x]. De plus, il est extrêmement difficile, voire impossible, d’évaluer avec précision la valeur des données en l’absence de marché officiel. En 2015, l’IDC (International Data Corporation) estimait le marché du big data à 122 milliards de dollars[xi], tandis qu’une étude de SNS Research l’estimait en 2016 à 46 milliards[xii], et une étude de MarketsandMarkets à 28,65 milliards[xiii] la même année. Enfin, même si certaines données sont vendues, le concept d’Open Data vient bousculer les modèles traditionnels en proposant des données entièrement libres de consultation et d’utilisation, et renversant ainsi la notion de propriété si profondément ancrée dans l’économie du XXe siècle.

Les enjeux de la donnée pour les services de transport

La donnée étant primordiale pour le développement et le fonctionnement des services numériques, ceux-ci doivent répondre à différents enjeux qui peuvent être identifiés selon quatre points fondamentaux : la collecte, la conservation, le traitement et la communication.

L’Open Data, un puissant tremplin pour le développement des applications mobiles

A la fin de la chaîne, l’enjeu de communication répond à la question : Qui peut avoir accès aux données ? Cette question amène à réfléchir si des données produites doivent être fermées, partagées sous condition ou bien ouvertes. Parmi ces trois catégories, la donnée ouverte, l’Open Data, représente un potentiel de développement formidable pour la création et le développement d’applications mobiles[1]. L’utilisation des Open Data est devenue dans plusieurs villes un facteur essentiel du développement des services de mobilité. La mise à disposition des donnés publiques par les autorités fournit à de nombreux acteurs, professionnels et particuliers, la possibilité de les exploiter et de créer une valeur ajoutée (presque) gratuite aux yeux des pouvoirs publics. C’est un important facteur d’amélioration de la qualité de service des transports urbains, et en conséquence de développement local.

L’application des Open Data dans le secteur du transport urbain est bien illustrée principalement dans les villes d’Europe et d’Amérique du Nord où des mesures politiques ont été prises pour ouvrir l’accès aux données publiques. De manière non exhaustive, des exemples sont observables à dans des villes comme Londres (data.london.gov.uk), Barcelone, (opendata-ajuntament.barcelona.cat), Chicago (data.cityofchicago.org) ou New York (data.cityofnewyork.us). On trouve également de nombreux portails Open Data ouverts par des villes mettant à disposition des données transport, de Buenos Aires (data.buenosaires.gob.ar) à Séoul (data.seoul.go.kr) en passant par Sao Paulo (dados.prefeitura.sp.gov.br), Le Cap (web1.capetown.gov.za) ou encore Singapour (data.gov.sg). Des plateformes apparaissent aussi au-delà des villes. Récemment, l’exploitant français Transdev a par exemple développé la plateforme Catalogue qui a l’ambition de répertorier les données transports des villes du monde au format Open data.[xiv]

Aujourd’hui, ce sont plus de 2600 portails Open Data qui sont répertoriés dans le monde entier sur tous les sujets dont le transport urbain. On remarque cependant que la majorité de ces portails se situe dans les pays développés (plus de 2100). Dans de nombreux autres pays en développement, une urbanisation généralement effrénée et des politiques urbaines axées sur l’usage de la voiture particulière ont ralenti le développement des services de transport public limitant la mise en place d’Open Data transport. Dans certaines régions, des situations géopolitiques instables participent aussi au ralentissement de ce développement.

Une observation menée par CODATU à l’échelle du bassin méditerranéen compare la situation des pays du Nord du bassin (où les portails Open Data pour le transport sont généralement développés) avec les pays du Sud et de l’Est qui ne disposant pas de portail Open Data. Cette observation a montré que l’Open Data est un facteur qui favorise fortement l’apparition d’applications mobiles et stimule ainsi l’innovation. De cette manière, dans le bassin méditerranéen, on dénombre environ trois fois plus d’applications dans les villes avec Open Data que dans les autres villes (et 70% des applications mobiles identifiées se trouvaient dans les pays du Nord du bassin). Aussi, le taux de pénétration moyen de l’usage de ces applications dans les villes dotées de plateforme Open Data est de 6,7%, contre 0,6% pour les autres villes où peu de services existent. Seul Istanbul où les données ouvertes sont absentes et les applications mobiles sont développées directement par les pouvoirs publics, présentait une exception. Ces quelques applications sont en effet bien connues et fortement utilisées par la population (Metro Istanbul pour le métro, Mobiett pour les bus, ou ?ehir Hatlar? pour les ferrys). Cette situation amène cependant à penser que la mise en place d’un portail Open Data à Istanbul ferait exploser le développement d’applications mobiles et la qualité de service.

Figure 3 : Taux de pénétration de l’usage d’applications mobiles identifiées sur la population urbaine des principales villes de Méditerranée
Source : CODATU

Enfin, les Open Data permettent aussi d’améliorer l’exploitation du côté des opérateurs. A Rennes, ville pionnière de l’Open Data transport en France, la plateforme mise en place par l’exploitant Keolis est aussi utilisée quotidiennement en interne (data.explore.star.fr). Cette plateforme permet en effet de suivre en temps réel la position des bus, données précieuses pour la gestion de la flotte.

Des méthodes de récolte des données qui se diversifient

Si l’accessibilité des données est un point essentiel, et l’Open Data un puissant levier pour le développement des mobilités connectées, une question en amont se pose sur la récupération de cette donnée. La collecte de donnée numérique est un second enjeu primordial, qui peut être une importante source de blocages lorsqu’elle n’est pas assurée. Par exemple, la Tunisie qui est le pays du Maghreb le plus avancé en termes de politique Open Data[2] est membre de l’Open Government Partnership et suit ainsi un plan de développement pour l’Open Government. Le gouvernement travaille notamment à la mise en place d’une plateforme Open Data pour le transport et butte sur un point essentiel : l’existence de la donnée. Un grand nombre de données théoriquement détenues par les opérateurs sont en effet absentes ou pas accessibles, bloquant le développement de la plateforme.

Généralement, plusieurs outils sont déployés par les différents types d’acteurs pour récolter les données[3]. D’une part, les transporteurs dotés de Systèmes d’Aide à l’Exploitation et d’Information Voyageur (SAEIV) peuvent récolter directement des données nécessaires à l’exploitation du réseau et à l’alimentation de leurs propres services numériques. En France, les exploitants de plusieurs villes comme Paris, Lyon, Bordeaux ou encore Toulouse sont dotés de SAEIV. Lorsque ces données sont ouvertes, les développeurs privés et particuliers ont alors la possibilité de s’appuyer dessus pour leurs applications, mais cela ne suffit pas forcément. La startup CityMapper avait souligné ce point en 2015 et précisé que les données généralement mises à disposition par les pouvoirs publics avaient souvent besoin d’être enrichies et améliorées pour permettre une optimisation des applications[xv].

Ce besoin a amené ces nouveaux acteurs à développer leurs propres outils internes et à recourir à d’autres méthodes de récolte. La méthode du crowdsourcing en est un des principaux exemples. Les usagers y sont mis à contribution en communicant des données qui permettent d’améliorer les informations diffusées. Des applications comme Moovit ou Waze ont recours à cette méthode et invitent ainsi leurs utilisateurs à enrichir continuellement les informations diffusées. Ces mêmes applications ont aussi recours à des récoltes anonymes des données GPS de leurs utilisateurs. Google utilise par exemple cette méthode pour établir l’état du trafic dans l’application Google Maps[xvi]. Les utilisateurs enrichissent donc de deux manières les données des nouveaux services numériques : active, par des contributions volontaires, et passive, par autorisation, souvent tacite, à récolter des données d’usage. Dans ces cas là, s’ils consomment la donnée d’une part, ils en sont aussi une, et deviennent à la fois des consommateurs et des produits.

De nouveaux outils nécessaires au traitement des données

Le dernier enjeu relatif aux aspects de conservation et de traitement relève de solutions principalement techniques. Sans s’attarder sur ces solutions, celles-ci restent primordiales car ce sont elles qui donnent sa vraie valeur à la donnée en faisant apparaître l’information. L’arrivée des Big Data a rendu le développement d’outils spécialisés indispensables pour ce faire. Face à cette nécessité, certains acteurs ont choisi de développer leurs propres outils tandis que d’autres ont recours à des prestataires spécialisés. Certains acteurs du numérique proposent ainsi des solutions adaptées pour les autorités organisatrices. Par exemple, la startup Moovit, en plus de développer son application d’information voyageur propose désormais une série d’outils de gestion et d’analyse pour répondre aux besoins de traitement de la donnée[xvii]. De plus, la plateforme Moovit Insights rend disponible directement et gratuitement des statistiques par ville sur l’usage du transport public, établies à l’aide de leurs propres données (temps passé dans les transports, temps d’attente moyen, distance moyennes de trajet, etc.). Le service de VTC Uber a de son coté lancé début 2017 sa propre plateforme Open Data, mettant à disposition ses données de trafic sous licence Creative Commons, et surtout fournissant des nouveaux outils spécifiques d’analyse du trafic pour de nombreuses villes pouvant aider les autorités locales dans les prises de décision.

Le développement de l’usage de la donnée soulève de nouvelles questions

Avec l’arrivée de nouvelles technologies et nouveaux outils de traitement du Big Data dans le secteur du transport, des questions de risques liés à cette technologie se posent. Ces questionnements doivent encadrer le développement et l’usage de ces données afin d’éviter les abus sans pour autant être un frein à leur développement.

L’Open Data soulève-t-il une question de sécurité ?

Une première question que l’usager lambda peut se poser est « Peut-on utiliser ces données contre moi ? ». Car ce n’est pas la donnée elle-même qui est dangereuse mais bien l’usage que l’on peut en faire. Dans le secteur du transport, cette question s’est posée avec le développement de l’Open Data et donc l’ouverture à n’importe qui d’informations sur les transports. La question de la sécurité, et notamment dans le cadre de programmes de lutte contre le terrorisme, a amené les autorités publiques de certains pays comme la France à s’interroger sur les types de données posant des risque potentiel. Les données ouvertes dans le transport sont principalement des données de service utilisateur. Et malgré ces craintes, aucun lien de cause à effet entre attaques terroristes et Open Data n’a encore été démontré ou observé. De plus, selon la majorité des acteurs, la valeur ajoutée de l’Open Data en termes d’amélioration et d’optimisation de service compense largement un risque de sécurité qui est encore à prouver[xviii].

Jusqu’où le respect de la vie privée est-il garanti ?

La violation de la vie privée est aussi mise en cause comme un potentiel risque vis-à-vis des usagers. La clé de la protection de la vie privée est dans l’anonymisation des données dont se servent les autorités ou les entreprises de transport. A Rio de Janeiro cette question s’est posée lorsque la ville a commencé à travailler avec les startups Waze et Moovit en 2014. L’application Waze est un navigateur amélioré pour les conducteurs qui forment une communauté et s’informent les uns des autres des incidents ou embouteillages sur les routes. Elle a été rachetée par Google en 2013[xix]. Collectant et conservant les données GPS des smartphones de chaque utilisateur, Waze arrive ainsi à faire remonter en temps réel de l’information sur l’état du trafic dans les villes. Moovit utilise aussi cette technique pour les transports en commun. La ville de Rio et ces startups sont ainsi rentrées en collaboration afin de s’échanger leurs données, permettant aux autorités locales d’améliorer la prise de décision, et aux startups de perfectionner les services mobiles. Les données partagées par Waze et Moovit sont censées rester anonymes, les informations de comptes étant détachées des données de circulation. La ville de Rio n’y a donc logiquement pas accès.[xx] Cet accès n’est pourtant pas impossible techniquement. Les transporteurs tels que RATP à Paris recueillent et stockent aussi nos données personnelles impersonnelles, principalement via les titres de transports. Ces données sont généralement utilisées en interne en cas d’impayés d’amende par exemple, mais ne font pas partis des données rendues publiques[xxi]. L’anonymisation des données repose donc essentiellement sur la bonne foi des acteurs impliqués et sur leur positionnement. Et pourtant, une étude américaine montrait en 2015 que même anonymisées, des bases de données analysées et recoupées avec d’autres pouvaient permettre de réidentifier des individus, mettant ainsi en cause la solidité d’une simple anonymisation de données.[xxii]

Figure 4 : Publication sur le trafic de Rio de Janeiro par Waze en 2016
Source : https://data-waze.com

En termes de vie privée et de sécurité, des erreurs d’origine humaines peuvent parfois amener à des situations catastrophiques. Cela a été le cas en Suède en 2015. A la suite d’une erreur de manipulation dans le cas d’un contrat de sous-traitance avec des filiales d’IBM, l’Agence Suédoise du Transport a laissé fuiter l’intégralité de sa base de données contenant de nombreuses informations sensibles et à caractère personnel. Parmi elles se trouvaient des informations sur tous les véhicules utilisés par les particuliers, la police ou l’armée, des données sur les caractéristiques des routes de tout le pays, mais aussi des données sur les personnes enregistrées dans les fichiers de police, les pilotes de combat de l’armée de l’air ou encore les militaires de l’unité d’élite du pays.[xxiii]. Si les transporteurs entendent bien protéger nos données personnelles, des incidents humains restent envisageables et présentent même un des risques les plus plausibles quant à la protection des données.

Des menaces de la part des géants du web ?

Un autre risque avancé depuis plusieurs années est la mainmise des géants du web, les GAFA (Google – Apple – Facebook – Amazon), sur les données mises à disposition à travers l’Open Data, et en conséquence la mainmise sur les transports en commun. Ce risque avait été pointé par le GART (Groupement des Autorités Responsable du Transport) en France en 2014. Le risque évoqué de l’arrivée d’un géant du web dans le secteur était le blocage des acteurs locaux, et une situation de domination qui pourrait conduire à une perte de neutralité des services d’information.[xxiv]. Pour l’instant, seul Google s’est intéressé au transport urbain à travers son service Google Traffic intégré à l’application Google Maps. Un scénario envisageait alors que la puissance de frappe de Google lui permettrait de développer facilement une application mobile d’information sur les transports à l’aide des données ouvertes qui évoluerait en une interface principale entre l’usager et le réseau. Celui-ci deviendrait alors un prescripteur de mobilité, maitre de proposer les solutions de son choix[xxv]. Pourquoi ne pas adapter les calculs d’itinéraire en faisant passer les usagers devant des commerces qui payent pour avoir de la publicité ? L’utilisation de la donnée ne servirait plus seulement les transporteurs, elle transformerait l’usager en produit vendu à d’autres clients du géant du web. Jusqu’à aujourd’hui, ce genre de scénario ne s’est pas observé et la neutralité des services d’information semble sauvée. Les opérateurs sont aussi de plus en plus nombreux à utiliser leurs données pour développer leur propre application. Des mesures juridiques ont aussi été prises dans plusieurs pays avec la mise en œuvre de la licence ODbL (Open Database License) afin d’empêcher les usages détournés. D’autre part, des acteurs comme Moovit ou Citymapper dépassent de loin les GAFA dans le transport urbain, au risque de devenir eux-mêmes les redoutés nouveaux géants.

Quelle vulnérabilité face au cyberterrorisme ?

Enfin, si l’on considère le cyber-terrorisme, des actes de malveillance peuvent aussi consister en une prise en otage des données celles-ci. En mai 2017, une cyberattaque internationale a paralysé de nombreuses entreprises et ministères dans une centaine de pays. A l’aide d’une faille du système d’exploitation Windows, un virus informatique de type « Ransomware » est ainsi arrivé à se répandre dans des milliers d’ordinateurs, encrypter leurs données – les rendre illisible sans une clé de décryptage – et demander une rançon. Plus cocasse, l’ampleur de l’attaque a été renforcée grâce un logiciel de piratage initialement développé par la NSA, l’agence américaine pour la sécurité.[xxvi]. Encryptée, la donnée est inutilisable, et perd ainsi toute sa valeur. En novembre 2016, la SFMTA (San Francisco Metropolitan Transportation Agency) a été victime d’un virus de ce genre appelé Mamba. Tous les terminaux de vente ont ainsi été piratés et les données cryptées empêchant la vente automatique de titres. Ne voulant pas payer de rançon, la SFMTA a dû rendre les transports gratuits tout un week-end le temps de régler la situation.[xxvii]. Que ce soit des données ouvertes ou fermées, la vulnérabilité de celles-ci à des attaques du type Ransomware fait apparaitre une fragilité des nouveaux acteurs du numérique dont les services dépendent principalement. La sécurité de ces données et la résilience des fournisseurs face aux attaques est donc un important enjeu pour les mobilités connectées.

 

 

Si l’utilisation de la donnée numérique pour les services de transport a soulevé plusieurs questions et a fait apparaitre de nouveaux risques, le développement de nouvelles technologies et modèles (Big Data, Open Data, et d’autres encore inconnus) continuera de soulever d’autres questionnement à l’avenir. Ceux-ci doivent servir à constituer un cadre pour éviter les dérives, en évitant d’être un frein aux potentialités d’innovation et d’amélioration des services qui sont immenses. Nouveau pétrole ou non, la donnée, et particulièrement l’Open Data, est bien au cœur du développement de la mobilité connecté. Et par cette position, elle est aussi au cœur de nouvelles relations entre les acteurs du transport traditionnels et nouveaux.

Notes

[1] On entend ici par Open Data des données qui répondent à des normes bien précises initialement définies à l’occasion du séminaire de Sébastopol sur l’Open Government en 2007. Ces normes sont les suivantes : une donnée ouverte doit être complète, primaire, permanente, accessible, exploitable, non-discriminatoire, non-propriétaire et libre de droit.

[2] La Tunisie est le seul pays au monde dont la notion d’Open Data est inscrite dans la constitution écrite en 2012, au niveau de l‘article 139.

[3] Nous ne parlerons pas ici de la récolte des données dans le cadre d’études stratégique, de rapports ou d’enquêtes de terrain par les autorités publiques.

Références

[i] République Française, JORF n°0193 du 22 août 2014, page 13972, texte n° 89 : Vocabulaire de l’informatique, www.legifrance.gouv.fr, 18/09/2017

[ii] Le Big Data (2016) : Définition : Qu’est-ce que le Big Data ?, www.lebigdata.fr, 18/09/2017

[iii] J. Leahy (2013) : Rio de Janeiro employs big data to run smooth services, www.ft.com, 18/09/2017

[iv] F. D.(2016) : « Casablanca se met au big data », Magazine Ville, Rail & Transports – Juin 2016

[v] E. GErbEr (2017) : Harnessing Big Data to build a public transport system, www.pressreader.com, 18/09/2017

[vi] Ellen Broad (2015) : Closed, shared, open data: what’s in a name? theodi.org, 18/09/2017

[vii] CityMapper (2015) : Building a city without open data, medium.com, 18/09/2017

[viii] N. Glady (2015) : La Data n’est pas le nouveau pétrole, www.hbrfrance.fr, 18/09/2017

[ix] Evolution des Prix du Baril de Pétrole, (MAJ 2016) 2000watts.org, 18/09/2017

[x] CCI Bordeaux (2014) : 2013 – 2020 : le volume de données de l’Univers Digital multiplié par 10, echangeurba.wordpress.com, 18/09/2017

[xi] Coriolan (2016) : Le marché du Big Data et de l’Analytics en plein essor, www.developpez.com, 18/09/2017

[xii] O. Famien (2016) : Le marché du big data représente en 2016 46 milliards de dollars, www.developpez.com, 18/09/2017

[xiii] B. L. (2016) : Le marché du Big Data atteindrait 67 milliards de dollars en 2021, www.lebigdata.fr, 18/09/2017

[xiv] R. Mazon (2017) : « Les données de transport doivent devenir un commun, un bien public », www.lagazettedescommunes.com, 18/09/2017

[xv] CityMapper (2015) : Building a city without open data, medium.com, 18/09/2017

[xvi] B. Laporte (2014) : Comment Google Maps réussi à suivre la circulation routière?, www.labemarketing.com, 18/09/2017

[xvii] P. Cossard (2017) : Moovit : des données transport temps réels pour les AO, www.mobilitesmagazine.com, 18/09/2017

[xviii] C. Cerda Guzman, 2014, « L’Open data à l’épreuve de la lutte contre le terrorisme », Éditions Panthéon Assas

[xix] IT Espresso (2013) : Waze : un rachat par Google en or pour la direction et son équipe, www.itespresso.fr, 18/09/2017

[xx] P. Olson (2014) : Why Google’s Waze Is Trading User Data With Local Governments, www.forbes.com, 18/09/2017

[xxi] E. Lesiour (2015) : Voyageurs : que deviennent vos données ?, www.transportshaker-wavestone.com, 18/09/2017

[xxii] N. Singer (2015) : With a Few Bits of Data, Researchers Identify ‘Anonymous’ People, bits.blogs.nytimes.com, 18/09/2017

[xxiii] Korben (2017) : Quand la Suède balance dans la nature les données personnelles de millions de ses citoyens, korben.info, 18/09/2017

[xxiv] S. Chign ard (2012) : Monétiser les données du transport public… chiche ?, donneesouvertes.info, 18/09/2017

[xxv] F. Gliszczynski (2014) : La mainmise de Google sur les transports urbains est-elle possible??, www.latribune.fr, 18/09/2017

[xxvi] N. Guibert, D. Leloup et P. Bernard (2017) : Une cyberattaque massive bloque des ordinateurs dans des dizaines de pays, www.lemonde.fr, 18/09/2017

[xxvii] C. Ion (2016) : Les hackers et les transports en commun ne font pas bon ménage, www.itrust.fr, 18/09/2017

Bannière : « Visualizing Lisbon’s Traffic » par Pedro Miguel Cruz and Penousal Machado, 2009