11 juillet 2018

Harcèlement sexuel en Égypte : quelles solutions au niveau des transports publics ?

D’après une étude menée par ONU
Femmes (UN Women)
en avril 2013, 99% des Égyptiennes disent avoir déjà vécu une forme de harcèlement sexuel, notamment dans les transports en commun, qui sont signalés comme le deuxième endroit où les femmes sont le plus sujettes à ce type d’agression.

Le harcèlement sexuel est un enchaînement d’agissements hostiles et à connotation sexuelle, dont la répétition et l’intensité affaiblissent psychologiquement la victime. Il peut viser à intimider la victime, à la dominer, ou à obtenir un acte sexuel. Dans le transport public, le harcèlement sexuel peut prendre la forme d’agressions verbales ou de comportements humiliants tels que le sifflement, une main sur les parties intimes, un contact visuel forcé… Des commentaires crus ou des remarques faisant référence à une gestuelle obscène sont aussi très fréquents. Si non régulées, ces dérives peuvent parfois se traduire en viols.

ONU Femmes considère que « les violences contre les femmes sont une forme de discrimination qui impact fortement leur capacité à jouir de leurs droits et libertés fondamentales, qui dépendent de l’égalité avec les hommes. » et définit l’agressivité contre les femmes comme « une violence directement dirigée contre les femmes pour leur condition physique. Elles subissent ces différentes formes d’agression parce qu’elles sont des femmes avant toute chose, ce qui impacte à la fois leur vie publique mais aussi leur vie privée ».

62% des Égyptiens avouent avoir déjà harcelé sexuellement une femme.

En 2016, sur 1010 femmes interrogées en Égypte, 83% des citoyennes Égyptiennes et 98% des femmes d’une autre nationalité vivant en Égypte disent avoir vécu une forme de harcèlement sexuel dans un espace public. Pourtant, respectivement seulement 2% et 8% de celles-ci semblent avoir signalé l’accident aux autorités [1]. Ce taux extrêmement bas est semblable dans le reste du monde et est le résultat d’un cercle vicieux. L’impunité qui règne sur le harcèlement quotidien fait que celui-ci à tendance à se banaliser, et risque au long terme de se renforcer puisqu’accepté par la société. Une étude menée en 2008 par le Centre Égyptien pour le Droit des Femmes a révélé que 62% des hommes Égyptiens admettaient avoir eu un comportement de type harcèlement sexuel envers une femme un jour.

Les lois d’hier semblent aujourd’hui inadéquates pour endiguer ce phénomène, et ont contribué à véhiculer l’idée que le harcèlement sexuel n’était pas un véritable crime.

Développé en 2010, HarassMap est une initiative qui a pour but de confronter la société Égyptienne à une réalité : les femmes ne se sentent pas en sécurité en Égypte. Afin de construire un large consensus sociétal contre le harcèlement sexuel, plusieurs volontaires ont travaillé main dans la main avec les autorités locales et diverses citoyen(ne)s pour mener des campagnes de sensibilisation et construire cette carte interactive. De façon informative mais surtout pédagogique, l’initiative HarassMap cherche à atteindre directement les harceleurs en mobilisant l’ensemble des citoyen(ne)s contre eux. De nombreux témoignages, ainsi que des conseils et des slogans ont été diffusés afin d’encourager les utilisateurs des transports publics à s’unir contre les harceleurs s’ils sont témoins d’un accident puisqu’ils seront dorénavant capable d’identifier cela comme un acte non acceptable. L’initiative cherche aussi à s’étendre aux magasins, écoles, grandes entreprises et universités pour diffuser et renforcer la politique « zéro-tolérance » contre le harcèlement sexuel.

Les femmes, victimes privilégiées du harcèlement sexuel, ont tendance à autocensurer leurs mouvements :

Les besoins de mobilité d’une femme ne sont généralement pas les mêmes que ceux d’un homme. Les femmes ont notamment tendance à parcourir de plus faibles distances, plus proches de leur maison, ce qui se traduit souvent pas plus de voyages quotidiens. Les raisons de leurs voyages sont aussi plus diverses. Enfin, l’accès à la voiture individuelle est encore limité pour les Égyptiennes.

Étant susceptibles de s’autocensurer sur certains trajets afin d’éviter toute forme de harcèlement dans les transports publics, les femmes ont moins d’opportunités professionnelles mais aussi moins de confort puisqu’elles sont limitées dans leur mouvement et doivent toujours être sur leur garde. Toutefois, il est difficile de pouvoir interpréter ces sentiments par des chiffres, car ils dépendent fortement de la perception de chacun(e) et de sa volonté à l’exprimer. Dès lors, il n’est pas aisé de déterminer quelle stratégie d’amélioration serait la plus pertinente à développer et exploiter.

La violence à caractère sexiste sur le chemin de l’école, dans son enceinte, dans les transports en commun ou sur les espaces publics empêche toute forme d’affirmation des femmes et contribue à accentuer le phénomène d’arrêt prématuré de la scolarité. (Mina SaidiSharouz, 2012). Dear et Wolch (1989) décrivent la capacité de se déplacer comme une condition sinequanone à l’accès au travail, particulièrement pour celles et ceux qui n’ont pas d’autres moyens que les transport collectifs publics pour se rentre sur leur lieu de travail. Une étude montre que comparées aux hommes, les femmes sont plus nombreuses à être des usagers captifs des transports en communs (usagers n’ayant pas d’autres solution que les transports en commun). L’accès sécurisé à ce mode de déplacement est donc essentiel pour celles-ci. De même, la mobilité apparaît primordiale pour permettre aux femmes d’accéder à la sphère publique, une condition au cœur de leur émancipation. Pour ces femmes, l’accès aux transports publics est crucial car il leur permet d’accéder à l’emploi, à l’éducation et aux loisirs. Lorsqu’ils étudiaient les effets du harcèlement sexuel au travail , Fitzgerald et Alii (1997) ont décelé que les femmes ayant été sexuellement harcelées présentaient un taux d’absentéisme au travail plus élevé que celles qui ne l’auraient pas été. Ils ont aussi identifié que le harcèlement sexuel était une raison fréquente de demande de démission en Égypte.

Dans le code pénale Égyptien, le harcèlement sexuel est un crime

D’après les articles 306 (a) et 306 (b) de la loi No. 58 de l’année 1937 du code pénal Égyptien, le harcèlement sexuel est un crime. En 2014, le décret présidentiel No. 50 a modifié ces articles en créant de nouvelles pénalités contre les harceleurs et les coupables de violences sexuelles.

L’article 306(bis)(a) stipule que tout individu faisant acte d’une gestuelle obscène ou d’un comportement à caractère sexuel inapproprié, y compris sur les nouveaux moyens de communication (internet) serait punit jusqu’à six mois de prison ferme et une amende de 3000 EGP.

L’article 306(bis)(b) stipule quant à lui que si le harcèlement est effectué dans l’objectif d’avoir des faveurs à caractère sexuel de la part de la victime, la punition pourrait aller jusqu’à un an de prison ferme et une amende de 20 000EGP. De plus, tout individu qui traduirait ses intentions en actes, encourra une peine de prison allant de 2 à 5 ans et une amende pouvant atteindre 50 000 EGP.

Enfin, l’article 278 du Code Pénal concernant « l’indécence publique » est souvent utilisé pour des cas de harcèlement sexuel, ainsi que les articles 267 et 268. Ce dernier se réfère à la « violation du principe de décence » ou à l’honneur plutôt que la violence physique à caractère sexuelle en tant que telle, et l’article 267 concerne les cas de viols.

Dénoncer le harcèlement sexuel dans les transports

En 2010, Mohamed Diab a dirigé le film « 678 » dénonçant le harcèlement sexuel en Égypte. Le film, tiré d’histoires vraies, montre le quotidien de trois femmes, issues de différents milieux, victimes de harcèlement sexuel dans les rues de Caire.

La plus riche d’entre elles finira par quitter son mari qui refuse de la soutenir alors qu’elle est publiquement victime de harcèlement et lance par la suite une initiative à l’échelle nationale pour mettre la lumière sur ce phénomène et alerter l’opinion publique. La plus pauvre d’entre elles, Fayza, subit elle aussi le harcèlement sexuel dans le bus la conduisant à son travail. Faisant partie de la classe sociale la plus défavorisée, elle est néanmoins obligée de prendre ce bus chaque jour car c’est le moyen de transport au coût le plus faible. La violence psychologique qu’elle doit endurer quotidiennement la pousse à éviter tout regard, jusqu’à celui de son mari. Certains hommes l’ayant repéré commencent à faire des gestes de plus en plus obscène en sa direction et iront parfois jusqu’à la toucher, ce qui pousse Fayza à garder secrètement dans sa poche une aiguille pour pouvoir se protéger, qu’elle utilisera désormais à chaque assaut. Dans le film, l’autorité publique est représentée par un policier qui tente de cacher la technique d’autodéfense de cette femme quand il comprend à quelle point la loi contre les harceleurs est inadaptée.

Transport réservé aux femmes : une solution ?

Face à la montée des violences sexistes dans les transports publics, les autorités de transports ont progressivement développé des services réservés aux femmes où les clientes peuvent voyager en toute sécurité sans risquer de rencontrer des hommes au comportement déplacé. Au Caire, l’une des principales réponses du gouvernement a été la création de sections dédiées aux femmes et aux enfants sur les lignes de métro. Depuis 2007, dans tous les trains du métro du Caire, les deux voitures intermédiaires (4ème et 5ème) de chaque train sont désormais réservées aux femmes (la cinquième devenant accessible à tous à partir de 21h00). Bien qu’elles puissent toujours choisir de s’installer dans d’autres voitures à usage mixte, les femmes semblent préférer utiliser ces voitures qui leur sont dédiées afin de pouvoir échapper aux regards indiscrets et aux commentaires déplaisants.

En décembre 2015, faisant suite aux nombreuses plaintes de femmes contre le harcèlement sexuel dans les transports publics pendant les heures de pointe, la ville de Damanhur, dans le delta du Nil, a introduit des bus réservés aux femmes. Six des 66 bus appartenant au gouvernement sont maintenant réservés aux femmes; cinq d’entre eux pour toutes les femmes et un spécialement pour les femmes handicapées. Les femmes se plaignaient d’être incapables d’utiliser les transports en commun, expliquant qu’elles étaient souvent physiquement incapables d’atteindre les portes du bus à cause des hommes qui se frayaient un chemin devant elles. Le gouverneur de Damanhur, Mohamed Sultan, a expliqué que cette initiative vise à éviter les différentes formes de harcèlement sexuel dont sont victimes les femmes tout en leur assurant dorénavant un voyage sûr et confortable.

Cette initiative ne s’est pas encore développée au Caire, mais de nombreuses compagnies privées de bus proposent déjà des places réservées aux femmes, notamment dans les quartiers de New Cairo, Rehab et Madinaty.

Lancé en 2015, Pink Taxi est un service de taxi géré par des conductrices visant à permettre aux femmes de voyager en toute sécurité au Caire. Cela concerne la passagère mais aussi la conductrice. Le service exclusivement féminin tente ainsi de lutter contre le harcèlement sexuel et la discrimination. Les conductrices des 20 véhicules de Pink Taxi ne prennent que des trajets pré-réservés et leurs voitures sont équipées d’un GPS, d’une caméra, ainsi que d’un bouton SOS qui peut arrêter le véhicule et alerter le siège en cas d’urgence. Cependant, le service n’est pas abordable pour la plupart des femmes Égyptiennes et le fait que les taxis de Pink ont des prix plus élevés que les taxis réguliers en fait un service élitiste.

Pink Taxi working staff

Les femmes se sentent protégées dans les transports qui leur sont réservés…

Les femmes égyptiennes sont constamment inquiètes ou conscientes de la possibilité de se faire harceler sexuellement en public. Lorsque le gouvernement patriarcal Égyptien a imposé des services exclusivement féminins pour éviter la promiscuité, il n’a fait que répondre à une forte demande des femmes pour des services qui leurs seraient réservés et qu’elles pourraient choisir d’utiliser en toute liberté pour leur besoin en sécurité.

Le transport réservé aux femmes peut être un outil pour garantir leur sécurité dans les espaces publics. Ces services créent un «espace sûr», à la fois physiquement et émotionnellement. En conséquence, les femmes se sentent soutenues, développent la confiance, obtiennent une plus grande indépendance et une meilleure estime de soi. Les services réservés aux femmes offrent de meilleurs résultats pour les femmes, ce qui a des répercussions sociales et économiques encore plus grandes. Les avantages du transport réservé aux femmes sont susceptibles d’être importants, par exemple en prévenant le harcèlement et en améliorant les possibilités d’emploi des femmes, comme avec des initiatives telles que Pink Taxis.

…Mais cette solution ne renforce-t-elle pas la ségrégation sexuelle ?

La plupart des membres des mouvements féministes égyptiens ont condamné le transport réservé aux femmes, affirmant qu’il entraîne de la ségrégation. Pour Dalia Abd El-Hameed, responsable du programme Égalité des Genres de l’Initiative Égyptienne pour les Droits Personnels, il s’agit d’une solution insatisfaisante. La responsable a ainsi exprimé sa désapprobation quant à la solution de ségrégation, puisque « les femmes, une fois descendues à quai, doivent toujours marcher dans des espaces publics dangereux et ce sur toutes les lignes de métro du réseau ». Cette solution ne répond donc pas adéquatement au contexte culturel sous-jacent et au maintien des comportements inappropriés. Les harceleurs causent un préjudice important non seulement aux passagers des transports publics, mais à la viabilité des transports publics dans leur ensemble.

Le harcèlement sexuel est un phénomène mondial

De multiples pays cherchent à intégrer la question du genre dans le secteur des transports publics et ont mis en œuvre différentes mesures visant à améliorer la sécurité du système en tenant compte des besoins spécifiques des femmes en matière de sécurité. La Grande-Bretagne et le Mexique sont mentionnés ici à titre d’exemple.

En Grande-Bretagne, les harceleurs sont soumis à une ordonnance de prévention des préjudices sexuels (SHOPO) que le sujet doit respecter. La violation d’un SHOPO est passible d’une peine d’emprisonnement de cinq ans. Les conditions imposées par la police britannique des transports comprennent notamment : « ne plus avoir le droit d’entrer seul dans une gare ou un train en Angleterre ainsi qu’au Pays de Galles » ; et « interdiction de communiquer avec une personne de sexe féminin en utilisant des mots ou des comportements de nature sexuelle ou en utilisant des mots ou des comportements susceptibles de causer du harcèlement, de l’alarme ou de la détresse. »

Mexico-city a quant à elle lancé l’initiative «Hazme el Paro» (une façon familière de dire «aider ou tourner le dos») impliquant des organisations féministes locales et internationales, des spécialistes des normes sociales et du changement de comportement, des développeurs d’applications et des organisations de transport urbain. ‘Hazme el Paro’ comprend trois interventions principales: (i) une campagne de marketing pour créer un sentiment de communauté et affirmer une opposition forte et unie au harcèlement sexuel contre les femmes; (ii) une application pour smartphone pour faciliter l’alerte d’une agression et améliorer le diagnostic; et (iii) une formation continue de sensibilisation de la communauté sur les moyens non conflictuels d’arrêter le harcèlement dans les transports publics.

Les femmes peuvent autant être passagères que planificatrices ou opératrices de systèmes de transport

Se concentrer sur le transport réservé aux femmes ne permet pas de se confronter aux réels problèmes dans la planification des transports. Ainsi, les planificateurs reconnaissent rarement les besoins de déplacement associés aux soins et aux tâches à domicile, qui sont principalement effectués par des femmes. La planification des transports, lorsqu’elle ne créée pas d’environnement sûr pour voyager la nuit est un exemple de non-prise en compte des spécificités féminines en matière de mobilité. C’est le cas avec un éclairage public inadéquat, des passages fermés entre les gares ou un manque de sécurité dans les gares. Eric Britton, directeur général d’EcoPlan International et rédacteur en chef fondateur de World Streets, accuse un manque de représentation féminine dans le secteur des transports en général. En effet, offrir des opportunités d’emploi aux femmes dans des rôles officiels – en tant que chauffeurs de bus, conducteurs de métro et contrôleurs de billets – normalise la présence des femmes dans les systèmes de transit, les rendant ainsi moins vulnérables. Les transports publics ont en effet un rôle crucial dans le développement d’une société durable et un rôle clef à jouer dans la promotion de l’égalité des sexes.

References [EN] :

Sonal Shah, Beyond the Women-Only Train Car: Gender and Sustainable Transport, ITDP India, 2017

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