13 novembre 2017

Entretien avec Karim Sokhn, ambitieux entrepreneur Libanais et cycliste passionné, fondateur de CyclingCircle, Deghri Messengers, et The Bike Kitchen Beirut

Entretien avec Karim Sokhn, ambitieux entrepreneur Libanais et cycliste passionné, fondateur de CyclingCircle, Deghri Messengers, et The Bike Kitchen Beirut

Pouvez-vous s’il vous plaît nous dire quelques mots sur vous et sur ce qui vous a conduit à vous investir professionnellement dans le domaine de la mobilité à vélo dans votre pays ?

Je m’appelle Karim Sokhn, et je suis diplômé d’une Licence de Service Social de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. J’ai travaillé en tant que travailleur social de 2008 à 2016, et je me consacre aujourd’hui à plein temps à ma société CyclingCircle.

En tant que cycliste passionné, j’ai toujours rêvé que Beyrouth puisse devenir une ville adaptée à la mobilité à vélo, et où le vélo pourrait effectivement devenir le premier mode de transport. Avec des problèmes croissants en matière de mobilité au Liban, et le besoin de plus en plus vital de passer à des modes de transport alternatifs, j’ai progressivement commencé à développer des projets de services de mobilité à vélo, ayant vocation à encourager les gens à se tourner vers l’usage du vélo dans la ville. Et c’est de cette façon que j’en suis venu à créer CyclingCircle en 2012, Deghri Messengers en 2014, et The Bike Kitchen – Beirut en 2016.

Pouvez-vous nous en dire plus sur ces projets et leur développement depuis leur création ?

• Encouragé par de nombreuses demandes de tours organisés à vélo, j’ai créé CyclingCircle en en 2012. Au départ, le projet a ainsi démarré en tant qu’activité touristique proposant des tours organisés dans la ville et dans la campagne. J’avais la conviction qu’en se concentrant sur l’aspect santé et amusement du vélo, et en proposant des activités de cyclisme encadrées, cela inciterait les gens à s’intéresser au vélo dans un premier temps dans le cadre du loisir, pour finalement l’adopter dans un second temps pour leurs déplacements quotidiens. Après deux ans d’activité, CyclingCircle a progressivement évolué pour devenir une entreprise visant véritablement à améliorer la mobilité urbaine et à encourager à un tourisme rural à vélo au Liban. Et c’est aussi dans cette perspective que j’ai ensuite développé mes autres activités.

En 2014, j’ai décidé de m’attaquer sérieusement au secteur de la mobilité et du transport, en lançant ma seconde start-up, Deghri Messengers, avec l’objectif de donner de la visibilité au vélo, et de démontrer qu’il s’agit d’un mode de transport fiable, sécurisé et rapide, qui peut remplacer sans problème les véhicules motorisés quand il s’agit de transporter en ville ou en périphérie de la ville, des chargements de petites ou de moyennes dimensions. En Janvier 2016, j’ai rencontré la Fondation Diane, qui investit dans le green business, et qui se montrait à l’époque très intéressée par Deghri Messengers et le développement de ses activités. De cette manière, Deghri Messengers SAL est ainsi devenue une entité indépendante de CyclingCircle SARL en Août 2016, pour se concentrer davantage et consolider son activité de service de livraison à Beyrouth. Cependant, Deghri Messengers a dû cesser son activité en raison du temps et du coût nécessaires pour assurer les livraisons. Les ambitions du projet étaient encore trop en décalage avec ce que le marché était prêt à investir. Deghri Messengers était un service similaire à UberEat et ce type de services de livraison, visant à assurer des livraisons rapides avec un moyen de transport non polluant. Ces services ne sont toutefois pas encore présents au Liban, et leur implantation s’annonce difficile du fait d’un vivier très réduit de personnes prêtes à travailler en tant que coursier à vélo. Cependant, je considère que Deghri Messengers est actuellement en pause, avant sa reprise que j’espère opérer d’ici quelques années.

•Enfin, en 2017, j’ai lancé The Bike Kitchen – Beirut, une boutique de vélo qui propose des services dans une ambiance chaleureuse, professionnelle et honnête. Nous y proposons notamment des cours à destination des personnes souhaitant apprendre à utiliser leur vélo de façon sécurisée et adaptée en ville pour leurs déplacements quotidiens. J’ai également mis en place deux points de location de vélos à destination des touristes, au coeur de deux zones rurales touristiques : Aammiq and Bkassine.

• En 2018, j’ai par ailleurs pour projet de travailler avec des écoles privées afin de sensibiliser les jeunes générations à l’usage du vélo à travers des cours de cyclisme.

Quel est votre opinion sur l’usage du vélo à Beyrouth et au Liban de façon plus générale ?

Le vélo est globalement utilisé pour le sport et les loisirs, plus que comme un moyen de transport quotidien du fait de plusieurs facteurs : la peur de se faire renverser par une voiture, la crainte d’arriver tout transpirant au travail, l’effort physique que cela demande en particulier quand il y a du relief, le refus de s’exposer à la pollution de l’air, et certainement un peu de paresse, qui empêche certains de même tenter l’expérience d’aller au travail à vélo.

On peut toutefois rencontrer de nombreuses personnes utilisant leur vélo dans les banlieues assez denses de Beyrouth, mais aussi dans certaines parties de la ville où se situent les établissements scolaires et universitaires.

Beyrouth reste une petite capitale qui peut facilement être traversée de bout en bout en à peine 45 minutes à vélo, mais il n’y a malheureusement rien qui incite les gens à utiliser leur vélo dans la ville. Je pense qu’il faudrait s’attaquer à la racine du problème pour y parvenir, à savoir l’éducation, en particulier des enfants, mais aussi la promotion du vélo à travers des campagnes de sensibilisation massives, et enfin l’amélioration des infrastructures dédiées à la mobilité à vélo par les pouvoirs publics. Sans cela, il y a quand même quelque chose qui pourrait finir par encourager les gens à utiliser davantage leur vélo, ce sont les embouteillages de plus en plus problématiques, qui pourraient effectivement pousser les automobilistes à se tourner vers des alternatives pour leurs déplacements quotidiens, malgré le manque d’infrastructures et les éventuelles inquiétudes au regard de la santé.

En définitive, je n’ai malgré tout pas de grands espoirs pour le secteur du transport à Beyrouth dans un futur proche. Je pense que cela va nécessiter plusieurs générations pour que se développe l’ouverture d’esprit nécessaire à un changement durable de la situation du transport, qui continuera probablement à se montrer dramatique d’ici là …

Et avant que le vélo ne se développe davantage, quels modes de transports avez-vous ainsi à Beyrouth ?

Il y a Beyrouth un vrai manque de transports publics, et nous n’avons pas de pistes cyclables ni de signalisation très efficace. La règlementation de la circulation est très peu respectée et les autorités ne parviennent pas à la faire appliquer, face aux comportements imprudents des conducteurs, ce qui rend globalement le système de transport complètement chaotique à Beyrout.

La solution serait à mon avis une combinaison de 4 aspects essentiels : l’éducation et la sensibilisation, l’application de la loi, le développement d’alternatives de transports, et l’organisation des routes.

Cette interview a été réalisée en Novembre 2017, dans le cadre de la Communauté de Pratiques sur le Transport Urbain Durable (CoP). C’est un projet mené par CODATU, l’AFD, le CMI, et la Banque Mondiale, avec l’objectif d’encourager le partage de connaissances entre experts de la mobilité, et le développement de solutions pour des transports urbains intégrés et durables dans les pays du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord (MENA). A noter que jusqu’en Janvier, la CoP se concentre sur la thématique spécifique de « la mobilité à vélo, nouveau challenge pour les villes méditerranéennes », sujet autour duquel un webinar sera animé le Jeudi 16 Novembre prochain.