21 octobre 2014

Compte-rendu de la journée d’étude « Le dérèglement climatique : une opportunité commune pour transformer le transport urbain ? »

Cette journée d’étude, animée par Olivier
Razemon journaliste au Monde
, avait pour objectif de réunir des élus locaux et des experts nationaux et internationaux du transport urbain afin de souligner le rôle que peut jouer la mobilité urbaine soutenable dans la lutte globale contre le dérèglement climatique. Nous vous proposons ici un compte-rendu de cette rencontre qui a rassemblé plus de 80 personnes.

Les enjeux locaux liés à la mobilité urbaine à bas carbone

Christian PHILIP, Secrétaire Général de CODATU a introduit la séance en défendant l’intérêt de la décentralisation dans l’établissement de politiques de mobilité urbaine soutenable dans les villes tant développés qu’en développement. Il a souligné que le secteur de la mobilité urbaine ne peut pas être négligé dans les discussions de préparation de la COP21. Il a présenté l’initiative portée par CODATU pour favoriser la coopération entre les villes afin de développer de politiques de mobilité à faible teneur en carbone dans les villes en développement. Celle-ci se base sur la déclaration « Nous avons bien plus que les transports en commun« .

session1

Première table ronde: Jean Baptiste Gernet, Christian Phiip et Louis Nègre

Pour Louis NEGRE, Président du GART, il est difficile d’obtenir une adhésion forte sur des objectif officiels de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’écotaxe en est l’exemple. Il faut beaucoup de pédagogie pour faire bouger les lignes sur un tel sujet et il faut une volonté politique supérieure à la moyenne. Avec la loi Grenelle, Jean-Louis Borloo avait ces deux qualités et ils ont fait passer des mesures innovantes (plus-value foncière, péage urbain, etc.). Malheureusement, elles n’ont pas été mises en œuvre, la crise ayant probablement crispé les décideurs.

Jean-Baptiste GERNET, Conseiller Municipal et Communautaire de Strasbourg a rappelé que pour assurer un changement comportemental des citoyens et renforcer le report modal, il y a trois dimensions: la facilité des déplacements, les coûts et les mentalités. La ville doit proposer des modes de transport performants et une bonne intermodalité pour ensuite mettre en œuvre des mesures plus contraignantes. A Strasbourg, la collectivité s’est donné comme objectif une réduction de 30% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 mais également une diminution de 30 % des émissions du transport et une réduction de 30 % du nombre de kilomètres parcourus. Strasbourg souhaite participer activement au partage de ses compétences avec des villes partenaires: Udaipur en Inde, Kayseri en Turquie et Nanjing en Chine.

Robert COUZON, vice-président du SMTC Clermont-Ferrand a mis en avant les efforts de l’agglomération pour assurer une diversité des modes de transport ainsi que les politiques locales de déplacement pour renforcer le report modal: développement du réseau de transport collectif et appui à la réalisation de Plans de Déplacements d’Entreprise. Par ailleurs, Clermont-Ferrand participe à un consortium pour la réalisation d’un projet de tramway dans la ville de Cuenca en Équateur. Le SMTC a été impliqué dans ce projet par des partenaires privés souhaitant valoriser l’expertise acquise pendant la maîtrise d’ouvrage pendant la réalisation du tramway .

Agir ensemble face aux défis du climat

Véronique MASSENET, Ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Énergie, (en remplacement de Sylvie LEMMET) se félicite de la mobilisation du secteur des transports et sa participation pour l’aboutissement d’un agenda de solutions pour faire face au dérèglement climatique et de la présence d’élus locaux, mais également des entreprises, des universitaires, etc. car pour accélérer les engagements des États, tous les acteurs on un rôle à jouer dans la mise en œuvre d’un agenda des solutions.

Elle rappelle que la conférence de New York a été un succès, notamment de la part des collectivités locales, on a atteint un stade de la reconnaissance du rôle des villes et des collectivités locales très important. Les transports par ailleurs ont été parmi les secteurs qui ont atteint un niveau important de maturation dans la mobilisation des acteurs. « Dans les agendas urbains de transport, on compte sur vous ! Et on est là pour vous aider à structurer vos actions !« 

John DULAC, Analyste à l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE), a rappelé la forte consommation d’énergie des transports terrestres et leur impact sur le dérèglement climatique. Il a présenté les divers scénarii étudiés par l’AIE et a signalé l’intérêt de l’utilisation de la méthodologie Éviter – Reporter – Améliorer qui consiste à réduire le besoin en déplacement, assurer le report vers des modes plus efficients et moins polluants et l’amélioration de l’efficacité des véhicules. Selon les travaux de l’AIE, les dépenses associées au transport seront réduites de 70 000 milliards de dollars d’ici 2050.

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Mary CRASS, Chargée des Politiques au Forum International des Transports (ITF) a présenté les études réalisées notamment sur l’Inde, la Chine et l’Amérique Latine, zones où la croissance urbaine est la plus significative. Les scenarii concernent deux types de politiques : celles favorisant le transport privé et celles en faveur du transport public. En Chine, en Amérique latine ou en Inde le développement de politique pro-transport public peut permettre une réduction des émissions de Gaz à effet de serre de respectivement – 26 %, – 31 % et – 47 %.

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Cornie HUIZENGA, Secrétaire Général du Partenariat Sustainable Low-Carbon Transport (SLoCaT) a rappelé l’impérieuse nécessité de s’intéresser au rôle du transport terrestre dans la lutte contre le dérèglement climatique et souligné l’importance d’une union des acteurs du secteur afin d’être pris en considération dans le prochain accord international sur le climat. Il est revenu sur les principaux engagements volontaires présentés par le secteur lors du Sommet de New (23/09/14).

Anne ODIC de l’Agence Française de Développement (AFD) a évoqué les activités de l’AFD qui font le lien Ville – Climat. L’AFD soutien et finance des projets et des coopérations décentralisées qui participent au développement des villes du Sud et qui ont un impact positif sur le climat. Elle a signalé que les projets d’aménagement de la ville et des déplacements peuvent contenir un volet environnement qui a des effets positifs sur le climat sans que cela soit une fin en soi. Cette possibilité permet une meilleure acceptabilité des projets par les décideurs des villes en développement.

Image round table 2, from left to right C. Huizenga, Ch. Najdovski and J. Dulac

Image round table 2, from left to right C. Huizenga, Ch. Najdovski and J. Dulac

Christophe NAJDOVSKI, Adjoint à la Maire de Paris en charge du transport, délégué à la voirie, aux déplacements et à l’espace public a rappelé que Paris, d’ici 2050, a adopté l’objectif du facteur 4 avec comme objectif intermédiaire -25% des émissions de gaz à effet d’ici 2020. A Paris, le transport est le premier contributeur en matière d’émissions de Gaz à effet de serre et de pollution atmosphérique. Bien que entre 2004 et 2009, il y ait eu une réduction de 7% des émissions de GES provenant du transport à Paris, il est nécessaire d’aller plus loin en réduisant le nombre et la distance et la distance des déplacements contraints, notamment entre l’ouest et l’est de la métropole parisienne. Ensuite, si Paris est déjà très dense, avec une moyenne de 30 000 habitants par km2 sur les espaces habitables de la commune parisienne, il faut que la première couronne se densifie pour permettre le report modal et la réduction des déplacements.

Mesurer le potentiel de réduction des émissions du transport

Damien VERRY, Analyste au CEREMA, considère qu’il faut développer des outils de mesure qui lient les déplacements aux émissions de CO2 pour comprendre les enjeux de la mobilité, afin de permettre aux politiques publiques d’être adaptées selon les constats en termes d’émissions et de besoins locaux. Il propose un bilan des émissions de GES en France en précisant que les deux tiers sont dus aux déplacements de personnes, et que 70 % de ceux-ci sont liées à la mobilité locale et quotidienne. Toutefois, le transport de marchandises représente un poids croissant qu’il est important de considérer. Avec une lecture des émissions plus sociologique, on constate que 20 % des plus grands émetteurs (grands voyageurs, grands navetteurs, hyper-mobiles) sont à l’origine de 60 % des émissions.

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Mathieu SAUJOT, chargé de « La Fabrique urbaine » à l‘IDDRI, considère que le transport en ville est un facteur clé pour l’atténuation des émissions provocant le dérèglement climatique. Les résultats d’une étude à Grenoble ont montré que le coût des mesures de réduction des émissions dans les transports (BHNS, péage urbain, extension tramway, véhicules électriques, covoiturage, etc.) avaient des degrés d’efficacité et des impacts très différents. Toutefois, Il est important de prendre en considération les co-bénéfices issus des politiques et des projets de transport envisageables au sein de la ville afin de mettre en place ceux qui présentent le plus d’avantages en termes économiques, sociaux et environnementaux.

Jurg GRUTTER, de Grutter Consulting, a présenté le Mécanisme de Développement Propre (MDP) qui a été adopté avec le Protocole de Kyoto et les Mesures d’Atténuation Appropriées au contexte National (NAMAs), outils plus récents qui prennent en comptent les atouts d’un projet ou d’une politique au-delà de l’impact climat. Pour les transports, cela est beaucoup plus intéressant étant donnés tous les avantages associés à une politique de mobilité soutenable. Il souligne deux difficultés importantes: l’argument d’être holistique est souvent utilisé pour éviter la mesure des résultats d’une politique et le manque de données disponibles et d’investissement dans les appareils statistiques.

Les avantages associés aux politiques de mobilité soutenable

Christophe MARVILLET, Chaire « Énergétique » au CNAM, considère que la soutenabilité d’un véhicule ne provient pas uniquement de sa consommation énergétique mais de l’origine de l’énergie qu’il utilise. Quelles que soient les alternatives pour alimenter les véhicules (biocarburant, électricité, hydrogène, etc.) il est essentiel de mesurer leur impact « du puits à la roue ».

Ali HUZAYYIN, Professeur à l’université du Caire et président du Groupement de Recherche en Aménagement UN-Habitat, a présenté les principaux axes de réflexion du Rapport sur la Planification et conception de la mobilité urbaine soutenable publié il y a environ un an par UN-Habitat. Ce rapport s’est focalisé sur l’accessibilité pour considérer les besoins de déplacement des populations. Il a souligné la nécessité du renforcement de la gouvernance pour permettre la mise en œuvre des politiques de mobilité permettant de répondre aux enjeux sociaux, environnementaux et économiques.

Laurent DAVEZIES, Professeur de la Chaire « Développement et économie des territoires » au CNAM, a commencé son intervention en précisant qu’il avait accepté l’invitation pour répondre à cet hommage à Jean-Claude Ziv, qui, il y a plus de 30 ans l’avait propulsé directeur technique de CODATU pour mettre en œuvre la première conférence de CODATU à Dakar. Travaillant avec Jean-Pierre Orfeuil, il s’est intéressé à la répartition modale entre transport collectif et automobile, notamment au moment de l’augmentation des prix du carburant en 2008.

En France, les grandes agglomérations ont connu une augmentation de la part du transport collectif pour les déplacements domicile-travail alors que la voiture a gagné des parts modales dans les petites aires urbaines. On peut mettre ces constats en relation avec la création nette d’emploi qui depuis le milieu des années 2000, se fait avant tout au cœur des grandes métropoles, c’est à dire dans des secteurs accessible en transport collectif : dans les 284 communes qui ont plus de 10 000 emplois au km² (ils représentent 17% de la population française et 40 % des emplois), la part de la voiture est de 44 % (alors que dans la moyenne française elle est de 68 %). De 2007 à 2011, on observe un resserrement de l’emploi sur ces territoires: + 250 000 emplois alors que le reste du pays en perdait 350 000 emplois. Toutefois, pour les autres territoires beaucoup plus diffus, les politiques publiques de mobilité doivent s’intéresser fortement à la bonne gestion des déplacements et au partage des véhicules privés.

Les initiatives pour une mobilité à faible teneur en carbone

Jérôme POURBAIX de l’ Union Internationale des Transports Publics a présenté les engagements pour le climat de membres de l’UITP au sein d’une centaine d’agglomérations du monde (Declaration in Climate Change Leadership). Le potentiel de réduction des émissions résultant d’une augmentation de la part modale du transport public en devient particulièrement conséquent. Un exemple en Europe, la multiplication par deux de la part du transport collectif se traduirait par une baisse de la consommation annuelle d’énergie de 30 millions de tonnes d’équivalent pétrole de 2005 à 2025.

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John DULAC, a présenté la Global Fuel Economy Initiative qui vise à améliorer l’efficacité de la consommation en carburant des véhicules et à prouver leur potentiel de réduction en termes d’émissions de CO2. Il a notamment évoqué l’objectif « 50by50 » qui vise à réduire la consommation en carburant des véhicules de 50% du stock global d’ici 2050. Cela passe notamment en créant et en améliorant les standards d’émission dans les pays émergents.

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Heather ALLEN, coordinatrice de l’initiative Bridging the Gap a évoqué Initiative pour une Mobilité Urbaine Électrique (UEMI) qui est menée par UN-Habitat. Cette initiative a pour objectif d’augmenter la part modale des véhicules électriques (collectifs et individuels) en zone urbaine de 30 % d’ici 2030 et ce tant dans les villes des pays développés qu’en développement.

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Ronan DANTEC, Sénateur et porte-parole climat de Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU) a clôturé la session en rappelant que les villes développés et en développement doivent travailler ensemble pour mettre en place la mobilité soutenable afin d’avoir une réelle influence dans l’atténuation du changement climatique.Selon lui, les acteurs locaux et la communauté du transport doivent s’unir pour garantir l’efficacité de leur action tant pour le développement que pour le climat.

L’hommage à Jean-Claude ZIV

Jean Claude Ziv professeur titulaire de la Chaire « Transport et Tourisme » au CNAM, vice-président de cette institution et fondateur de CODATU est décédé en mai 2013. Sa famille, amis et anciens collègues lui ont rendu hommage à travers des anecdotes et des témoignages émotifs faisant preuve de la trace laissée par Jean-Claude dans leurs esprits. A cette occasion a été présenté le livre « JCZ » qui rassemble des témoignages, des écrits et photos de ce personnage unique qui a dédié sa carrière au transport.