28 février 2018

Portrait Méditerranée : Hamza Abderrahim, Velorution Tunisie

Hamza
Abderrahim

Président

Association Vélorution Tunisie

 

Qu’est-ce que l’association Vélorution Tunisie ?

Vélorution Tunisie est une association de promotion du vélo comme un moyen de transport alternatif dans le milieu urbain. Notre principal objectif est d’encourager les gens à utiliser le vélo en tant que mode de transport quotidien à travers des actions et projets variés.

Nous cherchons aussi à solliciter les autorités afin que des infrastructures adaptées soient mises en place (pistes cyclables, panneaux adaptés, etc.) et que le code de la route soit mieux respecté pour simplifier l’utilisation du vélo et assurer la sécurité des cyclistes. Il faut en effet que les autorités soient plus sévères vis-à-vis de certaines infractions, et sensibilisent sur les comportements à risque.

Comment s’est construite cette association ?

Deux amis passionnés de vélo ont lancé spontanément en avril 2017 un événement appelé Tunis By Bike qui consistait en une parade à vélo dans Tunis. L’idée était reprise des « Masses Critiques » organisées ailleurs dans le monde. Ce sont des rassemblements spontanés de cyclistes qui font une parade dans les villes pour s’impliquer sur les routes, imposer aux autorités l’existence des cyclistes et promouvoir le vélo. Nous étions alors seulement une vingtaine de participants. Je les ai ensuite rejoints pour l’organisation d’un deuxième événement. Cette fois nous avons réussi à rassembler plus de 200 personnes.

Ces événements n’étaient alors pas organisés par une structure légale. Les autorisations pour les premières éditions de Tunis by Bike étaient déposées en notre nom. Lors de la seconde édition, nous avons eu des blocages avec les autorités locales qui ne voulaient pas nous laisser circuler. Après des négociations sur place et les protestations des cyclistes, la parade a pu démarrer et se dérouler sans incident. C’est là que cette simple parade a pris spontanément la forme d’un événement de revendication du vélo, et nous avons alors réalisé le potentiel et la nécessité de les organiser avec une structure définie. Nous avions aussi besoin d’un nom pour continuer et mieux communiquer sur les parades Tunis by Bike auprès des média.

L’association « Vélorution Tunisienne » existait depuis 2012 et était devenue inactive. Nous avons pris la décision de la relancer et avons contacté l’ancien bureau. Nous n’étions alors que trois à pouvoir reprendre l’association, et j’ai pris le poste de président. Mais suite à la passation, nous avons réalisé que l’association n’existait plus légalement. Nous avons alors créé une nouvelle association dans la continuité de « Vélorution Tunisienne » sous le nom de « Vélorution Tunisie ». Nous avons alors constitué un bureau complet comprenant un président, un vice-président, une secrétaire générale et un trésorier.

Quels sont les projets de Vélorution Tunisie aujourd’hui ?

Nous avons ouvert la première vélo-école de Tunisie pour les personnes adultes qui n’ont pas eu l’opportunité d’apprendre étant plus jeunes. Nous avons en effet constaté que de nombreuses personnes venues assister au départ des Tunis by Bike souhaitent nous suivre mais ne savent pas faire du vélo. Nous voulons leur permettre de rejoindre nos événements.

Nous avons monté un dossier et avons bénéficié d’un financement de l’Institut Français de Tunisie pour le démarrage de cette vélo-école. Nous avons lancer une première session « test » pendant il y’a mois. Nous avons pendant cette période développer une pédagogie et la tester sur des volontaires. Nous avons pour cela contacté la vélo-école de Montreuil et échangé sur la meilleure pédagogie à appliquer. Nous avons choisi de nous baser sur leur modèle en vigueur depuis plus de dix ans. Si ce test est concluant, nous prévoyons d’ouvrir l’école au public en mars.

La subvention nous a principalement permis de louer un local et d’acheter quatre vélos pour notre session de test (deux pliables et deux normaux). Nous comptons ensuite fonctionner à l’aide de forfaits payés par les bénéficiaires.

La communication fait aussi partie intégrante de notre stratégie, car elle fait vivre notre mouvement. Nous comptons nous impliquer auprès des media, réaliser et diffuser des vidéos de promotion du vélo, ou créer des événements de communication tels que des exposition photos. Nous sommes en train de réfléchir à différentes actions prochaines dans ce sens. Nous allons d’ailleurs assister en mars au congrès de la FUB (Fédération française des usagers de la bicyclette) organisée à Lyon, et allons y présenter notre projet.

En parallèle, nous continuons à organiser régulièrement des Tunis by Bike tous les mois selon des parcours définis dans le Grand Tunis (Tunis, la Goulette, la Marsa, etc.). (cf page facebook)

Sur le plus long terme, nous souhaitons travailler avec les autorités au développement de pistes cyclables. Même si cela semble inaccessible aujourd’hui, c’est un de nos objectifs le plus important. Nous souhaitons aussi les solliciter pour simplifier les déplacements interurbains avec des vélos. Prévoir des espaces dans les trains ou les bus pour des vélos semblent basiques mais sont très importants pour la promotion de l’usage du vélo pour le « dernier kilomètre » des trajets quotidien. Un habitant en banlieue de Tunis pourrait alors plus facilement mettre son vélo dans un train de banlieue et terminer son trajet à vélo.

Comment est né ton intérêt pour le vélo ?

Je suis originaire de Djerba dans le sud, et le vélo est très utilisé là-bas. Mais j’ai vraiment commencé à me déplacer en vélo il y a 9 ans lorsque j’étais étudiant à l’ENIT pour mes déplacements quotidiens. Avant j’étais plus sportif et je faisais beaucoup de natation. Mais après le lycée je n’avais plus le temps et j’ai trouvé le vélo pour me défouler.

Lorsque j’étais à l’ENIT, me déplacer en vélo me prenais 30 minutes au lieu de 1h30 en transports en communs. Au début j’étais le seul à me déplacer comme ça, mais j’ai partagé cette idée autour de moi et une soixantaine de personnes se sont mises au vélo en trois ans. J’ai alors créé un club avec des amis du nom d’Xplore pour organiser des balades sportives à vélo et randonnées-camping et autres événements dans toute la Tunisie. Nous avions notamment organisé un voyage de Gabès à Tozeur en vélo. Entre 2011 et 2013, j’ai aussi assisté à plusieurs Masses Critiques qui étaient organisées à Tunis.

Aujourd’hui j’ai 27 ans, je suis chef de projet dans une entreprise internationale, et je me déplace en vélo.

C’est quoi être président de Vélorution Tunisie ?

Etre président signifie diriger et faire avancer l’association en cherchant de nouvelles idées, de nouveaux projets. Nous avons une importante marge de manœuvre car c’est un sujet très varié qui touche au transport, à la santé, à l’environnement ou à l’économie. C’est une responsabilité d’autant plus grande que nous sommes les seuls à travailler sur ce sujet en Tunisie.

Je suis ainsi en charge du bureau, et je prends la responsabilité des évènements que nous organisons. Nous devons faire face à l’administration tunisienne à chaque évènement pour récupérer les autorisations, ce qui nécessite de la patiente et une disponibilité. C’est en effet difficile dans ces conditions d’assurer un événement tous les mois.

Quel avenir pour l’association Vélorution Tunisie ?

Nous n’avons pas ouvert d’adhésions mais nous y pensons. Nous nous réunissons régulièrement pour mettre en forme notre stratégie. Même si nous arrivons à faire tracer des pistes cyclables, il y aura d’autres projets pour promouvoir et développer le vélo.

Par exemple, nous n’avons pas d’idée précise sur le nombre de cyclistes à Tunis. Nous voulons mener une étude statistique et sociologique sur les différents utilisateurs de vélo, et sommes en recherche de financement pour cela.

De plus, nous travaillons essentiellement à Tunis aujourd’hui, mais nous comptons nous développer dans toutes les régions sur le même modèle : organisation de parades et ouverture de vélo-écoles. Nous souhaitons nous ouvrir sur le reste du pays et devenir une association nationale. Nous avons déjà commencé avec l’organisation d’une première « Sfax by Bike » l’été dernier dans la ville de Sfax. Nous voulons encourager toute autre initiative qui partage nos valeurs et participe au développement de ces idées.

Quels sont les principaux obstacles auxquels fait face le vélo en Tunisie ?

Face aux utilisateurs motorisés, les cyclistes sont traités comme des piétons, et n’ont pas de droits adaptés à leur statut. Les priorités de passage ne sont pas respectées, les automobilistes tournent sans mettre de clignotant ou ouvrent leurs portières sans regarder, les distances de sécurités ne sont pas respectées lors des dépassements, etc. Il existe ainsi des tensions, et les cyclistes se font souvent klaxonner et insulter par les automobilistes.

Le vélo est surtout considéré comme le moyen de transport des pauvres. Il représente pourtant une solution globale et internationale pour lutter contre la pollution, les problèmes de santé, mais aussi la crise économique. C’est une solution écologique et saine. Il faut donc arriver à changer les mentalités vis-à-vis de ce mode, et faire comprendre que toutes les classes sociales peuvent faire du vélo.

Et selon toi à quels enjeux peut répondre le développement du vélo ?

D’un point de vue écologique, le vélo peut participer à la réduction des émissions de CO2 des villes. En Tunisie, on compte plus de deux millions de véhicules enregistrés, avec chaque mois plus de 10 000 nouveaux enregistrements (voitures, camions et bus confondus). La grande majorité de ces enregistrements sont représentés par des voitures qui roulent encore au diesel, plus polluant que l’essence, mais moins cher en termes de cout de carburant et d’autonomie. Les émissions de CO2 induites sont conséquentes. Or l’utilisation du vélo plutôt que la voiture permet de limiter ces émissions.

Le vélo peut aussi répondre à des enjeux sociaux. L’infrastructure ne s’est pas vraiment développée depuis dix ans, mais doit supporter une utilisation accrue de la voiture. Cela créé des embouteillages de plus en plus importants et fréquents dans l’ensemble de l’agglomération, même en dehors de heures de points. Cette situation a plusieurs impacts négatifs, dont celui sur les transports en communs : les bus pris dans les embouteillages sont en retard et la qualité de service diminue. Cela renforce alors les inégalités entre ceux qui ont de l’argent et s’achètent des voitures, et ceux qui n’ont pas d’autre choix que d’utiliser le transport en commun et qui souffrent des embouteillages. Attention, nous ne sommes pas extrêmes sur l’utilisation des voitures, ou leur importation, mais nous sommes contre leur utilisation excessive.

Sur un autre plan, en quoi le vélo est-il une solution à la crise économique ?

Nous sommes actuellement dans une crise économique qui doit inciter à réduire les importations de produit et augmenter l’exportation. Or on remarque que les importations de voitures continuent d’augmenter amenant de plus en plus de voitures dans tout le pays, en contradiction avec la logique économique à suivre. De plus, le carburant est subventionné, et coûte beaucoup d’argent à l’Etat. Une politique durable réduirait ces subventions et utiliserait cet argent pour des projets de développement ! Cela convaincrait aussi les automobilistes à moins utiliser leur voiture en faveur d’autres modes tels que le vélo pour leurs déplacements quotidiens. Un automobiliste dépense en moyenne 8TND par jour(80km/jour) dans le carburant, cela fait plus de 2500 TND par an. Or un vélo neuf coute 300 TND environ, et peut être utilisé pendant plus de 20 ans.

Pour conclure, comment perçois-tu tes prochaines années ?

Aujourd’hui je compte investir dans le secteur du vélo. Je souhaite investir plus de temps et d’idées sur des projets écologiques et de moyen de transport alternatif, avec Vélorution Tunisie mais aussi en dehors. Et s’il le faut, pourquoi pas m’engager en politique pour défendre le développement de la mobilité active.