15 mars 2018

Portrait Méditerranée : Ridha Arjoun, Ministère du Transport

Ridha Arjoun

Directeur de la Cellule des Systèmes de Transports Intelligents (STI) et de l’Administration Electronique (AE)

Ministère du Transport de Tunisie

Qu’est-ce que la cellule STI du Ministère du Transport ?

La cellule STI et AE – pour Systèmes de Transports Intelligents et Administration Electronique – est une direction créée dans le cadre de la restructuration du ministère du transport en 2014, au sein de la Direction Générale du Développement Administratif, des Systèmes d’Information et du Transport Intelligent (DGDASITI). Elle a pour mission de développer les systèmes de transport intelligents à l’échelle nationale et de développer l’administration électronique dans le secteur du transport.

On entend par STI l’application des nouvelles technologies de l’information et de la communication dans le domaine du transport (terrestre, maritime et aérien) et ce concernant les infrastructures, les moyens de transport et les usagers. Un accent particulier est porté sur l’application de ces systèmes dans le domaine du transport terrestre (notamment routier) et la mobilité comme adopté par la directive européenne de 2010 (directive STI).

Quelle est l’importance de cette cellule dans le ministère ?

Il s’agit encore d’une petite cellule, nous ne sommes que deux permanents. Cette direction ne comportant qu’une sous-direction, la création de postes supplémentaires n’est pas encore prévue. Pourtant, elle est importante car les dossiers les plus importants de la DGDASITI sont traités par nous, ce qui nous donne d’ailleurs un volume de travail important. Pour compenser cette lacune de ressources humaines, nous faisons participer l’ensemble de nos collègues des entreprises du transport sur les sujets que nous traitons.

Comment cette cellule travaille-t-elle ?

Les activités autour du développement des systèmes de transport intelligents impliquent une forte coopération avec les entreprises publiques sous la tutelle du ministère, ainsi que les ministères concernés comme le Ministère des Technologies de la Communication et de l’Economie du Numérique (MTCEN), l’Unité de l’Administration Electronique (Présidence du Gouvernement) ou encore le Ministère de l’Enseignement Supérieur.

Ces actions s’inscrivent aussi dans le cadre de la stratégie du MTCEN. Les actions du secteur du transport au regard des STI font en effet partie intégrante du plan national stratégique « Tunisie digitale 2020 ». Le développement de services numériques tels que des services d’information est ainsi lié à ce plan stratégique. Dans ce cadre, nous travaillons sur la notion de service et réfléchissons à l’amélioration des services offerts aux citoyens et usagers du transport à travers les nouvelles technologies.

En quoi consiste votre poste au sein de cette direction ?

Je suis directeur de la cellule STI. Je suis ainsi chargé du suivi des projets de la cellule et de leur coordination avec les autres directions générales du ministère du transport, ainsi que les autres ministères, les entreprises et la société civile. Chaque projet a un groupe de travail spécifique mis en place. J’ai pour rôle principal d’animer ces groupes, de m’assurer du bon déroulement des projets et de rendre compte auprès de notre Directeur Général, du Secrétariat Général et du Cabinet.

Je suis aussi membre de certains comités de pilotage sur d’autres projets touchant aux TIC et qui ont des liens avec le transport intelligent. Par exemple, je représente le Ministère du Transport dans un projet de mise en place d’une Infrastructure Nationale de l’Information Géographique (INIG) lancé par le Centre National de la Cartographie et de la Télédétection, et financé par le MTCEN. Ce projet vise à mettre en place un « géoportail » qui permettra d’exploiter des données géographiques sur toute la Tunisie.

En parallèle, je suis le point focal national auprès de la Commission Economique et Sociale pour l’Asie Occidentale (CESAO) des Nations Unies qui œuvre actuellement pour le partage de l’information géographique pour tous les pays arabes. Nous sommes impliqués dans ce projet à travers le partage des données touchant au transport en Tunisie. Nous avons dernièrement été sollicité pour introduire les données sur la sécurité routière.

Quels sont les grands projets de la cellule STI ?

Notre principal projet concerne la définition d’une stratégie nationale à travers la réalisation d’une étude stratégique et opérationnelle pour le développement des systèmes intelligents et de solutions numériques pour la mobilité urbaine durable. Nous essayons de lancer cette étude depuis 2009 sans succès par manque de financements dédiés. En 2017, nous avons pu bénéficier d’un appui de l’Agence Française de Développement dans le cadre du programme de coopération technique sur les transports urbains animé par CODATU, et lançons ainsi cette étude. C’est le projet le plus important de notre cellule.

La billettique dans le Grand Tunis est aussi un dossier extrêmement important que suit la cellule STI. La TRANSTU – l’exploitant principal du transport collectif à Tunis – est en train de moderniser son système billettique, et en parallèle, la Société du RFR – société responsable de la construction du Réseau Ferré Rapide, réseau de transport de masse connectant les banlieues au centre de la capitale – va installer son propre système billettique. La volonté du Ministère du Transport de proposer une tarification intégrée sur l’ensemble du réseau de transport collectif nécessite un suivi et une coordination de ces différents projets. Une équipe projet a été récemment désignée pour coordonner les projets billettique et travailler à l’interopérabilité des systèmes à travers la définition de priorités et de prérequis, le suivi des plannings, la réalisation de reporting, etc. Je dirige cette équipe qui se réunit sur une base hebdomadaire depuis le début de l’année 2018.

Un troisième projet que nous suivons concerne l’ouverture des données et la création d’un portail Open Data national. Il s’inscrit dans le cadre de l’inscription de la Tunisie dans l’Open Gouvernement Partnership (OGP) en 2014. Je participe aux travaux d’une commission mixte au sein de l’Unité de l’Administration Electronique, unité au niveau de la Présidence du Gouvernement, qui a été constituée pour le suivi des projets inscrits dans l’OGP. Nous travaillons ainsi depuis 2016 sur la partie transport de ce projet. Nous avons pour cela développé un modèle de classification de données selon différentes catégories : infrastructure, réseau, offre théorique, et offre temps réel. Malheureusement, nous ne sommes aujourd’hui capables d’alimenter la plateforme qu’avec des données des trois premières couches. Les entreprises de transport ne disposent pas de système opérationnel de géolocalisation de leurs flottes de transport, pour donner de l’information en temps réel. Nous travaillons actuellement sur l’architecture de cette plateforme qui devra voir le jour en Juillet 2018.

Nous travaillons en parallèle de ces trois grands sujets à la préparation de modèles de termes techniques utilisables par toute entreprise souhaitant mettre en place des systèmes de géolocalisation, d’aide à l’exploitation et d’information voyageur. Aujourd’hui, il n’existe pas de norme nationale pour ces types de projets. Dans le cadre de notre projet Open Data, nous travaillons avec le standard GTFS, mais avons dû retravailler et convertir plusieurs données récupérées sous d’autres formats. L’étude stratégique et opérationnelle lancée cette année va notamment nous éclairer sur le choix des normes à utiliser (information voyageur, billettique, etc.).

Enfin, nous avons un projet de mise en place d’un SIG (Système d’Information Géographique) Transport. Un tel système devra nous permettre de gérer, stocker et exploiter l’information géographique concernant le transport : infrastructures, réseaux, pôles d’échanges, etc. Nous recherchons actuellement des financements pour ce projet. Ce projet sera aussi en relation étroite avec le projet INIG du CNCT.

Au niveau national, quels enjeux le numérique rencontre-t-il dans le secteur de la mobilité urbaine ?

Le premier enjeu rencontré est un enjeu de normalisation. La mise en place de systèmes de transport intelligent et autres systèmes sans effort de normalisation compromet fortement l’interopérabilité de ces systèmes et donc l’intégration des réseaux. La définition et l’application de normes nationales et internationales est essentiel pour la réussite des projets de transport intelligent.

Aussi, lorsqu’on on parle du transport intelligent, on touche à de nombreux sujets qui ne sont pas directement gérés par le Ministère du Transport : télécoms, urbanisme, infrastructures, circulation, sécurité, accessibilité, etc. Même le transport de marchandise a tendance à échapper au Ministère du Transport. L’harmonisation de tous ces sujets nécessite une vision globale qui passe par un meilleur partage d’information, et une implication de tous les acteurs clés.

En Tunisie, nous disposons aussi de certaines bonnes infrastructures numériques, mais qui sont aujourd’hui sous-exploitées. Des réseaux de fibre optique ont par exemple été installés sur les réseaux de TRANSTU et de la SNCFT, et représentent ainsi un levier important. Mais il manque les services pour exploiter cette technologie.

Il existe aussi beaucoup d’autres enjeux. Quand on parle de « smart city » ou « smart mobility » on parle de durabilité, d’environnement et donc de santé publique, à travers le développement de modes moins polluants ou de systèmes optimisés. On parle aussi d’accessibilité pour tous, à travers la mise à disposition de l’information voyageurs via le smartphone. Aujourd’hui, on ne trouve aucune information voyageur dans les stations de bus par exemple. Pas même d’horaires statiques.

Le smartphone a donc une place importante dans les projets d’information voyageur ?

Il est une des solutions oui ! Équiper les stations de bus, métro, ou train en panneaux d’information voyageur coûte cher, et avec des risques de vandalisme. Or étant donné la situation économique au niveau des entreprises du transport, on ne peut pas se permettre de gros investissement. Un canal comme le smartphone représente une véritable opportunité pour diffuser de l’information voyageur à moindre cout, et de manière « friendly ». Le taux d’utilisation du smartphone est plutôt élevé en Tunisie par rapport aux pays de la région, et les infrastructures de télécomunications sont bien développées. Il faut saisir cette opportunité.

Comment considérez-vous l’implication du numérique dans l’optimisation du transport public ?

Il est important de sensibiliser et d’accompagner les décideurs du transport public à la mise en place d’une vraie qualité de service. Cela passe par la mise en place et le suivi régulier d’un certain nombre d’indicateurs : ponctualité, propreté, sécurité, etc. Nous avons besoin de tableaux de bords qui serviront de véritables outils d’aide à la décision. Des projets tels que INIG pourraient nous fournir de tels outils. Ils permettraient de suivre les écarts de service, nous éclairciraient sur certaines failles d’une façon plus précise et nous permettraient d’œuvrer en conséquence. L’attribution de subventions pourrait par exemple prendre en compte ces observations, et accorder des bonus afin d’encourager une meilleure qualité de service. Cela participerait à l’amélioration de l’image du transport public.

De nouveaux services numériques sont aussi présents dans le secteur des transports non-réguliers et informels. Quelle est votre avis sur cet aspect ?

Au regard des taxis, les services et application mobiles naissantes ne sont pas en contradiction avec la règlementation, mais nous n’avons pas une maitrise de cette activité. De plus, le ministère ne gère pas directement les taxis, et les nouveaux services relèvent d’initiatives privées. Etant bénéfiques pour le transport en général, ces initiatives sont cependant soutenues par notre direction. Nous avons été consultés par plusieurs startups porteuses d’initiatives intéressantes, et que nous tâchons de suivre.

Il existe aussi de nouveaux services qui émergent naturellement en Tunisie, notamment liés à la mobilité partagée comme le covoiturage. Or le covoiturage, bien que bénéfique, est considéré par la réglementation tunisienne comme une activité clandestine. Il est ainsi nécessaire de travailler sur les aspects juridiques et réglementaires du transport en parallèle du développement des TIC. Il faut que nos textes soient capables de s’adapter à l’émergence de services qui offrent naturellement des solutions aux problèmes de circulation rencontrés aujourd’hui.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel ?

Je suis ingénieur diplômé en informatique de la faculté des sciences de Tunis depuis 1997. J’ai eu la chance d’étudier auparavant au lycée pilote de l’Ariana en anglais, ce qui m’a donné l’opportunité de pouvoir suivre une formation internationale dans cette branche d’ingénierie. J’ai ensuite participé à plusieurs concours et ai été accepté au Ministère du Transport dès mars 1998, après un passage très bref dans une entreprise en informatique privée.

J’ai alors travaillé pendant 4 ans comme ingénieur informatique à la Direction de l’Organisation et de l’Informatique. Puis, étant passionné par la recherche, j’ai demandé une mutation au Ministère de l’Enseignement Supérieur et ai enseigné pendant 6 ans en tant qu’assistant technologue dans le corps des technologues à l’Institut Supérieur des Etudes Technologiques.

En 2008, je suis retourné au Ministère du Transport qui avait alors besoin de compétences en informatique. J’occupais alors la fonction de chef de service mais je travaillais surtout sur les sujets de transports intelligents, et ce jusqu’en 2011.

En 2011, j’ai eu l’opportunité d’être nommé Directeur Régional des Transports de Beja. J’ai ainsi découvert le vrai métier du transport et de l’exploitation. Car être directeur régional, c’est appliquer les politiques de transport à l’échelle régionale, contrôler l’exploitant ainsi que les transports non-réguliers en collaboration avec le gouverneur. La tâche de contrôle est très importante, en plus de la participation à toutes les commissions régionales (commission régionale consultative des transports, commissions de discipline, suivi des rapports et plans d’aménagements régionaux, etc.). Je participais aussi au conseil d’administration de la société de transport de Béja.

Enfin, je suis retourné à Tunis en 2015 suite à la création de la cellule STI en 2014 où j’ai été nommé directeur et où je travaille depuis.

Comment vous voyez vous dans quelques années ?

Pour l’instant, nous avons de nombreux chantiers, beaucoup de choses à construire et beaucoup de travail. J’en ai encore pour plusieurs années sur les projets de transport intelligent, et ne réfléchis pas vraiment à la suite. Le jour où je sentirai ne plus pouvoir ajouter grand-chose dans la structure ou j’évolue, je commencerai à réfléchir à une transition.

Entretien réalisé le 21 février 2018