27 novembre 2017

[Compte-rendu webinar] La mobilité à vélo, nouveau défi pour les villes méditerranéennes

[Compte-rendu webinar] La mobilité à vélo, nouveau défi pour les villes méditerranéennes

Le webinar organisé conjointement par CODATU et le CMI, a eu lieu le jeudi 16 novembre 2017 dans le cadre des activités de la Communauté de Pratiques pour le Transport Urbain Durable en Méditerranée (CoP).

Avec l’objectif de promouvoir l’apprentissage collaboratif et le renforcement des capacités, le webinar a permis de présenter d’un côté une initiative de terrain développée à Marrakech, et de l’autre la vision d’un expert apportant des éléments de compréhension des différents modèles de systèmes de vélos partagés.

Les auditeurs ont pu se connecter à distance pour entendre Cantal Bakker, originaire des Pays-Bas, et fondatrice de l’ONG Pikala Bikes développée aujourd’hui au Maroc, et Maxime Huré, maître de conférences en science politique à l’UPVD, l’Université de Perpignan Via Domitia, également chercheur au CDED (Centre de droit économique et du développement) et chercheur associé au laboratoire Triangle de Sciences Po Lyon, et Président de l’association VIGS (Villes innovantes et gestion des savoirs), qui a publié « Les Mobilités partagées. Nouveau capitalisme urbain » en 2017 aux Publications de la Sorbonne.

Pendant la première partie du webinar, Cantal Bakker a d’abord présenté les activités et les objectifs de Pikala Bikes à Marrakech, et son ambition de changer les mentalités sur la pratique du vélo au Maroc. Sa présentation a été suivie de celle de Maxime Huré, sur les différents systèmes de vélos partagés et leurs conditions de mise en place.

Les deux présentations ont mis en valeur les principaux obstacles rencontrés ainsi que les stratégies mises en place pour les dépasser. La deuxième demi-heure a été entièrement dédiée aux questions des auditeurs.

La mobilité à vélo, nouveau défi pour les villes méditerranéennes

« Pédaler à Marrakech pour l’éducation, la création d’emploi et la protection de l’environnement », par Cantal Bakker

Pikala Bikes est un projet associatif à but non-lucratif basé à Marrakech depuis deux ans, qui a pour but d’encourager l’usage du vélo et de créer une véritable communauté autour du vélo et du mode de vie qui l’accompagne. « Pikala », qui signifie « vélo » au Maroc, a été choisi pour nommer l’initiative afin d’en assurer une bonne compréhension par tous les Marocains, de même que pour le logo, qui représente explicitement un cycliste pour faciliter l’identification par tous de l’association et de son domaine d’action, y compris par les personnes qui ne maîtrisent pas la lecture.

Les impacts de Pikala

A travers le vélo, Pikala Bikes travaille aussi sur les questions de l’emploi, de l’éducation, de la sensibilisation aux enjeux de l’environnement, de la mobilité durable, et de la santé, et encourage également les échanges culturels, par le biais de la Fondation Pikala qui se trouve aux Pays-Bas, ainsi que le développement de l’éco-tourisme, et la construction de nouvelles infrastructures avec les autorités locales. Au-delà du développement de l’usage du vélo, Pikala Bikes ambitionne ainsi de participer à l’amélioration durable de la ville et de la qualité de vie des habitants.

Pourquoi Marrakech ?

Pikala Bikes a choisi la ville de Marrakech pour le lancement de l’initiative au Maroc, pour toutes les conditions idéales qui y sont réunies : une absence de relief, propice à une utilisation sans effort du vélo, une météo favorable avec plus de 300 jours de soleil par an, et une configuration spécifique du centre-ville dans la Médina, où seuls les piétons et les deux-roues peuvent circuler. De plus, les problématiques de mobilité pour lesquels le vélo pourrait représenter une solution efficace sont nombreuses. La circulation est de plus en plus chaotique avec une augmentation significative du nombre de voitures à Marrakech ces dernières années, et la sécurité routière pose de véritables difficultés, tout comme les problèmes de santé dus à la pollution de l’air. De plus, l’offre en transports publics se fait encore rare, tandis que la ville compte notamment 70 000 étudiants qui ont besoin d’un moyen de transport pour se rendre à l’université.

D’autres villes marocaines souffrent des mêmes problématiques, et l’ambition de Pikala Bikes à travers l’initiative mise en place à Marrakech, est de servir d’exemple à des villes comme Agadir, Casablanca, ou encore Rabat.

Pikala au niveau local

Pikala Bikes agit tout d’abord au niveau du quartier, avec la mobilisation d’une communauté locale auprès de qui sont organisés des évènements et des activités ludiques autour du vélo, tels que des compétitions de vélo, ou encore des ateliers de créativité pour la customisation des vélos. Ces activités ont pour but de sensibiliser à l’usage du vélo tout en attirant la curiosité des habitants. Des ateliers de réparation permettent également à des stagiaires de se former et d’acquérir de nouvelles compétences sur des périodes de 6 mois à 1 an. Pikala Bikes effectue par ailleurs des ateliers de sécurité routière dans les écoles, et des activités pour l’apprentissage du code de la route avec les enfants. Des cours de vélo sont également proposés à destination des femmes, qui considèrent encore trop souvent que l’usage du vélo est réservé aux hommes. Pikala Bikes anime enfin un club qui propose des activités hebdomadaires pour sensibiliser aux enjeux environnementaux et aux problématiques de santé, ainsi que des ateliers de yoga permettant une ouverture sur le mode de vie qui accompagne l’usage du vélo.

Les activités commerciales de Pikala

Avec pour objectif d’atteindre l’indépendance financière au bout de 3 ans d’activité, mais aussi de financer les activités proposées au niveau local auprès des habitants, Pikala Bikes s’investit par ailleurs sur un panel d’activités commerciales, avec des tours à vélo et un service de location de vélo à destination des quelques 2 à 3 millions de touristes annuels qui visitent la ville. En plus de ces activités qui encouragent au développement de l’éco-tourisme à Marrakech, Pikala Bikes développe également un service de livraison à vélo à destination des petits commerces et des administrations locales, et la vente d’accessoires pour vélo fabriqués par l’artisanat local dans un style marocain (couvertures de selles, paniers et sonnettes de vélo).

La relation avec les autorités locales

Enfin, Pikala Bikes s’investit dans une relation renforcée avec les autorités locales, qui peuvent en effet mettre en place des infrastructures pour les cyclistes dans la ville, mais aussi sensibiliser aux enjeux de l’environnement, et à la sécurité routière, en cohérence avec l’effort du Maroc de devenir un pays plus vert, notamment depuis la tenue de la COP22 à Marrakech en 2016. C’est aussi avec les autorités locales que Pikala Bikes encourage à l’échange d’expertise avec les Pays-Bas, pour la construction de nouvelles infrastructures et la mise en place de politiques de mobilité urbaine.

« Quels modèles de vélos partagés pour les villes méditerranéennes ? », par Maxime Huré

Les contextes urbains des villes méditerranéennes sont très variés. Aussi, avec les quatre grands modèles d’organisation des Vélos Libre-Service (VLS) que l’on peut observer dans le monde, quel modèle pourrait-on choisir pour les villes méditerranéennes ?

1/ Le modèle de la grande firme mondialisée

Il s’agit du modèle le plus couramment implanté. Les institutions publiques ont recours à une grande entreprise privée qui n’est pas forcément spécialisée dans le vélo à l’origine, mais souvent dans le mobilier urbain et l’affichage publicitaire, telles que JCDecaux (Valence, Séville, Marseille) et Clear Channel Outdoor (Barcelone, Perpignan). Ces grandes entreprises mettent en effet en place le dispositif de VLS, le plus souvent en échange des recettes de l’affichage publicitaire de la ville. Aussi, les conditions d’implantation de ces entreprises et le choix de ce modèle d’organisation du VLS, nécessitent de s’adapter aux contraintes des entreprises, avec une harmonisation territoriale des marchés publicitaires dans un réseau cohérent, et disposer d’un marché publicitaire qui génère suffisamment de recettes. De plus, il est préférable pour la ville de disposer au préalable d’aménagements cyclables conséquents, et de s’inscrire dans une démarche politique de développement de ces infrastructures sur plusieurs années. C’est un modèle qu’il est possible d’observer dans des villes de tailles différentes, et pour des services au dimensionnement varié. Par exemple, on compte environ 6000 vélos répartis sur 200 stations à Barcelone, tandis que Perpignan compte environ 200 vélos répartis sur une quinzaine de stations. Ce modèle représente ainsi une opportunité de concept clé en main pour les collectivités locales, qui délèguent l’ensemble du service à une entreprise privée, sans devoir mobiliser d’investissement. Mais de nombreux échecs sont toutefois à déplorer avec des villes méditerranéennes qui ne remplissaient pas l’ensemble des conditions nécessaires pour le succès de ce modèle, notamment Rome, Perpignan, Aix en Provence, ou encore Marseille.

2/ Le modèle de la start-up spécialisée dans le VLS

Ce modèle est notamment celui qui s’est développé à Montpellier depuis 2008, avec la start-up Smoove, qui s’est aussi implantée à Paris depuis 2017, ainsi qu’à Madrid. Le modèle économique de ce système n’est pas basé sur la publicité mais sur une délégation de service public. Les collectivités paient ainsi dans ce second cas, le vrai coût du service. Ce modèle nécessite une véritable expertise en matière de VLS au sein de la collectivité, afin que celle-ci puisse accompagner des start-up qui sont parfois récentes, et participe ainsi à la dynamisation de l’économie locale si la start-up se situe sur le territoire.

3/ Le modèle du free-floating

Ce modèle consiste pour une entreprise privée, à déposer dans la ville une flotte de VLS en libre accès et sans contrainte de stations, avec un dévérouillage des vélos par le moyen d’une application smartphone et un paiement à la demi-heure. Ce modèle est particulièrement développé dans les villes chinoises, avec deux opérateurs privés principaux Mobike et Ofo, mais celui-ci pose cependant souvent problème, du fait d’un manque d’infrastructures cyclables et de stationnements dédiés, qui génère une augmentation du stationnement anarchique, et des problèmes de sécurité routière, malgré une plus grande appropriation possible par les usagers, et un faible investissement de la collectivité pour la mise en place du service.

4/ Les alternatives au marché

Certaines villes, notamment au Nord de l’Europe, font le choix de se passer d’un système de VLS, car elles n’en ont pas l’utilité, ou bien parce qu’elles s’appuient historiquement sur le secteur associatif pour développer le vélo, comme c’est le cas à Strasbourg par exemple. Dans ce cas, cela nécessite un investissement public en soutien aux acteurs associatifs, comme pour Pikala Bikes à Marrakech.

Les solutions sont ainsi variées, et peuvent être envisagées en cohérence avec les caractéristiques et spécificités des villes méditerranéennes.

Pour plus de détails, veuillez consulter les présentations de nos deux intervenants :

Présentation de Cantal Bakker Présentation de Maxime Huré

Pour regarder le webinar :

L’enregistrement du Webinar La mobilité à vélo, nouveau défi pour les villes méditerranéennes est accessible en ligne (démarrage du webinar au niveau de la 17ème minute de l’enregistrement).